Aldo Qureshi, Godasse, Atelier de l’Agneau, 3e trimestre 2025, 88 pages, 18 €.
Si l’on décortique pertinemment le titre, dans l’univers qureshien, Dieu l’a là où l’on pense – ou bien c’est lui qui use et abuse de ses créatures ? En effet, comme les précédents livres de l’auteur, celui-ci est fait de brefs récits tenus pour beaucoup par un narrateur aussi menacé – par divers animaux, un manageur néonazi, des maladies atypiques, des figures féminines plus que castratrices, les représentants d’une société sous surveillance généralisée, des préparatifs de guerre, etc. – que menaçant : incestueux, chauffard, mégalo, parano, obsédé par l’hygiène…
Dans cette atmosphère kafkaïenne réactualisée, le lecteur est plongé la plupart du temps dans un environnement urbain aux airs de banalité (supermarché, fastfood, immeuble situé en dehors des quartiers chics) mais où se produisent les phénomènes les plus improbables. On y croise des êtres monstrueux, à mi-chemin de l’humain et de l’animal, voire de l’inanimé, telle cette Mercedes qui se comporte comme un fauve et finit par détruire un appartement, occupants compris. Les corps des différents protagonistes (où dominent ceux appartenant à la justement nommée cellule familiale), fragmentables ou extensibles au-delà du naturel, sont traversés par toutes sortes d’organismes qui sont autant de parasites avec lesquels il faut bien cohabiter : « ça va faire deux ans que je vis avec un poulet en promotion » ou « j’allais devoir passer le restant de mes jours / avec ce chien agrippé à la cuisse ».
Cette suite de textes en faux vers – c’est-à-dire dont la coupe obéit plus aux règles de la syntaxe qu’à des choix rythmiques et/ou sonores – est ponctuée d’illustrations ou de formules qui détournent les encarts de pub ou les injonctions administratives : « afin de rendre ce processus plus convivial nous avons inclus un QR code à l’avis d’expulsion ». En outre, les décalages sont fréquents entre chacun des textes et son titre, comme pour mieux marquer le gouffre qui sépare la société du care, du soft & du clean d’une réalité plus sordide que rugueuse. Ainsi le texte intitulé développement personnel évoque un conférencier qui, apparemment au hasard, tire au pistolet sur son auditoire et se termine par « l’homme répond qu’il n’y est pour rien, / et que c’est aux autres d’assumer / la façon dont ils reçoivent les balles ».
Comme on peut facilement le constater, cette ambiance cauchemardesque (« On ne sort pas de l’immeuble, il est partout ») renvoie à un monde pas si éloigné du nôtre, dans lequel le tragicomique serait l’une des dernières solutions disponibles en magasin, sinon « La moindre faute d’inattention, / le moindre faux pas, / et tout explose »…