Tout le monde écrit, personne n’achète de livres d’auteurs inconnus ou qui ne sont pas placés en librairies, ce n’est pas là une nouveauté. Plus profond et substantiel. Combien êtes-vous prêts à payer pour avoir une poignée de lecteurs ? Certains éditeurs ne se cachent pas pour dire qu’avec le soutien CNL ou Région, et quelques défenseurs habituels de la maison, le tirage chez l’imprimeur sera payé. Pourquoi aller chercher des lecteurs quand ils n’existent pas ? Aujourd’hui des offres pour un vrai retour sur votre tapuscrit vous sont offertes pour de modestes deniers, allant de 59 euros chez un éditeur passionné (Æthalidès, avec leur dépôt de manuscrit « premium », qui permet un retour rapide et professionnel sur votre manuscrit, accompagné d’un échange personnalisé) à 390 euros sur le site de la revue Lire (avec le même service), sans compter les services en accompagnement éditorial que proposent les Edith & Nous et autres Librinova qui ont bien senti l’opportunité émergente de l’intermédiation entre l’auteur et l’éditeur. Laurent Collin chez Æthalidès, qui au passage travaille vraiment très bien avec les auteurs, va devoir dissimuler son adresse sinon, il sera tabassé par la concurrence. Plus sérieusement, ce que j’observe, c’est un renversement du marché dans lequel ce n’est plus le lecteur qui paie pour lire, mais l’auteur qui paie pour être lu. Vous achetez à votre éditeur soixante exemplaires de votre propre livre et vous les offrez à vos proches, à des écrivains, des revuistes, des chroniqueurs ou les déposez dans une boîte à livres. Avoir soixante lecteurs, c’est absolument formidable, il faut le savoir. Une étude l’affirme, neuf livres sur dix n’atteignent pas les cent ventes. Ça plante un décor. Même chez Gallimard et Flammarion ou parmi la profusion des romans de la rentrée littéraire, les auteurs ne sont parfois pas mieux servis. Les poètes, les fragmentistes, nouvellistes, les expérimentateurs, eux, par qui voudriez-vous qu’ils soient lus ? Face à ce constat que les éditeurs ébruitent peu, il existe ou existera bientôt une solution payante. Recrutons parmi les milliers de lecteurs qui sont majoritairement des auteurs eux-mêmes, un vivier de lecteurs actifs stimulés par une petite rétribution. Voyez tout de suite comme le monde est plus beau et plus habitable. Vous arrivez avec votre texte sous la nageoire et on vous propose un pack 100 ou 300 lecteurs ou bien davantage si vous êtes fortuné. Encore mieux, vous recevez une notification par mail à chaque nouveau commentaire posté sur notre plateforme. « Très drôle, je kiffe ». « Oula, c’est puissant, me voilà modifiée ». « Ce n’est pas difficile, mais c’est mieux que le dernier Goncourt, et ça ne tricote pas ». « Auteur à suivre, je le booste sur mon Insta, je pourrais dire, « je l’ai lu avant tout le monde » ». Rappel élémentaire, nous vivons en système libéral, il n’y a pas d’alternative, quoi que vous pensiez. Adaptez-vous ou bien, avec nonchalance dirigez-vous vers l’invisibilité. Soyez malin, n’écrivez pas pour que vos livres restent dans des cartons qui finiront au pilon. Inscrivez-vous dès aujourd’hui sur le site Lectures techniques et prestigieuses, et payez en ligne, par chèque ou en pots de confiture (sous nos allures racoleuses, nous aussi nous avons une âme de poète). Vous les aurez vos lecteurs. Laissez les imbéciles fonctionner à l’ancienne et écrire des livres pour que dalle. Les benêts. Parmi notre équipe de lecteurs motivés, nous avons d’authentiques VIP. Soyez lus par des personnes connues, et identifiées par vos amis, ils vous feront un petit retour qui vous aidera à briller dans les soirées, vous en parlerez encore dans dix ans. À cause de votre texte addictif Léa est arrivée très en retard pour le 20 heures, elle a dû s’en expliquer publiquement. Augustin est très prisé, mais vos collègues de travail vous regarderont bientôt tout autrement. Catherine, quand elle ne filme pas une scène de réunion de famille dans un château, elle vous a lu et s’est fendue de ce petit mot touchant sur votre écriture. Nicolas a appelé Carla en pleine nuit pour lui parler de votre texte, il compare votre roman au Voyage. Vous hésitez encore, aucun souci, ça ne concerne que vous. Découvrez la diversité de nos offres, certaines sont prises d’assaut. On annonce déjà un gros embouteillage pour certaines de nos prestations envoûtantes. Nos offres sont de succulentes valorisations narcissiques en injection directe dans votre carotide. Merci aux plus réactifs d’entre vous.
Christophe (bienfaiteur), pour vous servir,
Extrait de Pistolet à bouchon sur la tempe, écriture en cours (pour la glouare).

