[Chronique] CLAUDE MINIERE, JACK KEROUAC, L’OCEAN EST MON FRERE

[Chronique] CLAUDE MINIERE, JACK KEROUAC, L’OCEAN EST MON FRERE

septembre 13, 2023
in Category: chronique, UNE
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[Chronique] CLAUDE MINIERE, JACK KEROUAC, L’OCEAN EST MON FRERE

L’édition anglaise de The Sea is My Brother, dans la collection Penguin Classics (2012), constitue un véritable dossier. Le titre que nous lui donnerons ? JEUNESSE. L’ouvrage produit le texte du premier roman écrit au printemps 1943 par Kerouac, perdu puis retrouvé et publié intégralement en 2011. Mais le volume comprend aussi des esquisses et brouillons antérieurs, des « manifestes » du Cercle des Frères de l’Humanité ou des Jeunes Prométhéens, et des lettres échangées avec Sebastian Sampas entre octobre 1940 et février 1944.  En 1940, ils ont 18 ans. L’un et l’autre sont nés à Lowell, petite ville de Nouvelle Angleterre, à une heure (par le train) de Boston. Ils ont des activités communes, partagent des soirées fort arrosées, se confient leurs angoisses, leurs découvertes doutes espoirs ambitions. Ils sont en classes préparatoires pour l’université. Jack, grâce à ses performances sportives (football) sera admis à la Columbia University de New York ; Sebastian, qui veut devenir acteur de théâtre, restera à Lowell, étudiant de l’Emerson Collège. En 1942, Jack s’enrôlera dans le Marine marchande, dont les cargos sont en permanence menacés par les torpilles des sous-marins allemands ; Sebastian s’engagera dans l’Armée et sera mortellement blessé en Italie en février 1944.

Après la mort de son camarade, Jack écrira cette lettre :

It’s raining – and the song has come – I’ll See You Again.  Where? Where, Sammy?
Mon pauvre, pauvre ami – ayez des pensées de moi, hein?  […]
Jadis ! Jadis ! Jadis on était ensemble, non ?  Ensemble ! Ce grand mot d’amour…
C’est tout parti, I bequeath thee this wraith of unsprung tears.
Sebastian, really, your death has never ceased on asking of me a damned sentimentalist like yourself…
Fraternelly, Jean

Désormais, Jack vivra au jour le jour, vagabondera, écrira. Boira. Quand il décède, d’un abcès de l’estomac, en 1969, dans sa chambre de ST. Petersburg, en Floride, il est depuis trois ans marié à Stella, la sœur aînée de Sebastian. Sa dépouille sera ramenée à Lowell.

Les tempêtes de JEUNESSE : la violente sensation de la vie qui pousse en soi, les débats avec les amis du Club, les soirées arrosées, l’idéalisme de la fraternité universelle, le fascisme et le communisme, la hantise de voir une petite amie d’un jour une nuit une semaine se trouver enceinte, la volonté d’adopter un comportement détaché, le choix indécis entre l’étude et l’action, le désir de voir le monde, le désir d’élargissement, la nécessité bientôt de « make a living », de gagner sa vie sans devoir accepter un emploi d’ouvrier dans les filatures de Boston et dans une Amérique souffrant encore des conséquences de l’effondrement de la Bourse en 1929, la guerre mondiale qui se profile, la prémonition de ce que la jeunesse sera bientôt un Jadis, qu’elle sera un jour calmée, c’est-à-dire canalisée, quittée, l’ambition d’être un écrivain, de ne pas être emprisonné par le savoir mais de faire l’expérience des destins.

On lira dans The journal of an Egotist (1940) :

I have the world thoroughly ladled out : I am not its conqueror, nor am I a great individual.  But, I know what sore besets it, and I do not want to know any more. It will pain me to know more, for I know what it will be like.

Leave me alone with my important books at night ; let me make a living in the daytime, a dead man running about the City of New York and its offices, talking to other dead men about dead affairs, but I beg of thee : LEAVE ME ALONE AT NIGHT, WITH MY BOOKS, AND MAYBE MY LOVE ALSO, AND LET ME LIVE AT NIGHT.  I DON’T WANT TO HEAR ANY MORE ABOUT THE WORLD ; I HAVE REACHED MY UNDERSTANDING WITH THE WORLD, I KNOW WHAT IT EXPECTS OF ME, AND I DO NOT WANT TO KNOW  ANY MORE ABOUT IT.  LEAVE ME ALONE AT NIGHT: I’LL HANDLE THOSE VULTURES WITH EASE.*

J’ai puisé à fond le monde : je ne serai pas son conquérant, et je ne serai pas non plus un individu exceptionnel. Mais je sais quelle plaie le tourmente, et je ne veux pas en savoir davantage. Il me coûterait trop d’en savoir plus, car je sais ce que ça donnerait.  Laisse-moi seul avec mes chers livres la nuit ; laisse-moi gagner ma vie le jour, un mort arpentant la Cité de New York et ses bureaux, parlant d’affaires mortes avec d’autres morts, mais je te prie, LAISSE MOI TRANQUILLE LE SOIR, AVEC MES LIVRES, ET PEUT-ETRE AUSSI MON AMOUR, ET LAISSE MOI VIVRE LA NUIT. JE NE VEUX PLUS ENTENDRE PARLER DU MONDE ; J’AI AUJOURD’HUI MA PROPRE IDEE DU MONDE, JE SAIS CE QU’IL ATTEND DE MOI ET JE NE VEUX CERTES PAS EN SAVOIR PLUS.  LAISSE MOI TRANQUILLE ET JE SAURAI BIEN ME DEBROUILLER AVEC LES VAUTOURS.**

TA VOIX SE PERDRA***

Tu chercheras ta voix, tu crieras

Tu auras ta voix

Puis ta voix se perdra

TA VOIX SE PERDRA

dans l’océan

 

* texte original

** ma traduction

*** mon poème de jeunesse.

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librCritique

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1 comment

  1. Minière
    Reply

    Dans la liste de 30 « how-to-do » que Kerouac dressera en 1958 :
    « Ecarter toute inhibition d’ordre littéraire, grammatical ou syntaxique ».

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