[Chronique] Sébastien Ecorce, Un retour vers les blocs commerciaux

[Chronique] Sébastien Ecorce, Un retour vers les blocs commerciaux

octobre 23, 2022
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[Chronique] Sébastien Ecorce, Un retour vers les blocs commerciaux

Il est une idée qui semble faire florès ces derniers temps, à savoir que l’Occident devrait abandonner la mondialisation. Mais, en y plaçant des limites, et en y regardant de plus près l’Occident devrait revenir aux blocs commerciaux, créés dans ce cas entre les nations partageant certaines valeurs politiques et certains intérêts géopolitiques. Il devrait utiliser la notion « d’accord le bloc ».

 

Il y a deux raisons pour lesquelles l’Occident devrait abandonner la mondialisation. La première est qu’elle n’a pas été bonne, économiquement, pour ses classes moyennes.  Le « graphique de l’éléphant », raconte cette histoire en quelques mots : la période de forte mondialisation entre 1988 et 2008 a été bénéfique pour les classes moyennes asiatiques et les 1% les plus riches du monde, mais inefficiente pour les classes moyennes occidentales. Deuxièmement, sur le plan géopolitique, la mondialisation a favorisé l’essor de la Chine, qui est déjà, mais sera encore plus à l’avenir, le principal concurrent militaire et politique des États-Unis. La Chine représente aujourd’hui 21% du PIB mondial contre 16% pour l’Amérique alors qu’en 1988 les pourcentages étaient respectivement de 3,6% et 20%.

 

Ces deux arguments en faveur de l’abandon de la mondialisation au profit de blocs régionaux sont parfaitement logiques du point de vue des intérêts politiques des gouvernements occidentaux. L’idée a été, au grand dam, mais non déclaré, des libéraux américains, soulevée pour la première fois par Trump. Maintenant, les libéraux, sur ce point comme sur plusieurs autres, sont assez enclins à suivre ces traces.

 

Le problème est de savoir comment expliquer cette volte-face, ce quasi-retournement au reste du monde. Le récit occidental a, depuis 1945, été construit précisément sur la vision opposée : le commerce ouvert aide tous les pays et conduit à une coexistence pacifique. S’il n’est pas nécessaire de souscrire à la vision du tryptique Montesquieu-Bloch-Doyle du commerce comme moteur de la paix, les arguments économiques en faveur du commerce ouvert ont toujours été prédominants. La Chine, l’Inde, l’Indonésie, le Vietnam et le Bangladesh les ont rendus encore plus marqués.

 

John Giorno

 

Aujourd’hui, l’Occident, qui était le principal champion idéologique du libre-échange, s’en est éloigné parce qu’il ne joue plus en sa faveur. Mais que cela soit le cas ou non est, d’un point de vue global, sans importance : l’idée d’un commerce ouvert n’était pas basée sur des avantages particuliers pour une partie – comme l’était le mercantilisme – mais sur les avantages mutuels pour la plupart. Les gains n’étaient pas censés concerner la majorité, mais l’idée était que les parties perdantes seraient compensées au niveau national, ou du moins que leurs pertes particulières ne feraient pas dérailler l’équilibre de l’ensemble du processus.

 

On nous dit maintenant que nous devons retourner à l’idée de projet. Mais nous ne sommes pas autorisés à appeler ces revirements à l’aide de concept plus précis. Et pourtant, leur vrai nom, ce sont les blocs commerciaux. Ils ont déjà existé auparavant : on les appelait les préférences impériales du Royaume-Uni, la zone de coprospérité du Japon, la zone d’Europe centrale de grande Allemagne, le Conseil soviétique d’assistance économique mutuelle. Ils répondaient également aux intérêts géopolitiques des pays qui les ont introduits. Pendant quelque 80 ans, ils ont été considérés comme idéologiquement rétrogrades, faisant partie de politiques quasi autarciques du type « chacun pour soi ». Aujourd’hui, nous sommes censés croire que l’accord de bloc est en quelque sorte de nature différente. Ce n’est évidemment pas le cas. Il ne s’agit en fait que du mercantilisme placé sous un nouveau nom et de blocs commerciaux sous une autre apparence.

 

Il y a une autre minoration. L’Occident a toujours été « en charge » de l’idéologie économique dominante. Cette idéologie a imprégné toutes les organisations internationales. Si l’Occident opte désormais pour cet accord de bloc, comment le FMI va-t-il expliquer à l’Égypte, au Paraguay, au Mali et à l’Indonésie qu’ils doivent continuer à pratiquer un commerce ouvert ? Si l’on attribue (à juste titre) à la mondialisation le mérite d’avoir augmenté les revenus en Asie et d’avoir permis la plus grande réduction de la pauvreté dans le monde, devons-nous maintenant inverser les politiques en matière de pauvreté dans le monde et faire valoir que les blocs commerciaux régionaux devraient devenir la base économique à partir de laquelle il faut procéder ? Qui va dire cela au FMI, à la Banque mondiale et à l’OMC ?

 

Si l’Occident abandonne la mondialisation, c’est tout à fait compréhensible dans la perspective mercantiliste et déformée de la grandeur nationale. Colbert approuverait, certes. Mais ne faisons pas de contre-lecture historique. Il ne faut en effet pas se leurrer en croyant que le reste du monde pourrait être influencé sur un simple coup de tête, et ne pas remarquer l’implacabilité du changement idéologique que cela implique. Et ne se demanderait pas si l’impulsion initiale qui prônait l’ouverture économique n’était pas fondée sur des préoccupations géopolitiques qui s’avèrent aujourd’hui insuffisantes.

 

Il est à craindre que l’on ne peut tout simplement pas maintenir la validité universelle d’une idéologie que l’on ne suit pas.

 

 

Sébastien Ecorce, Responsable financier dans une autre vie,
Prof de neurobiologie, Salpêtrière.

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