[Chronique] Claude Minière, Le drame de Mallarmé

[Chronique] Claude Minière, Le drame de Mallarmé

mai 15, 2022
in Category: chronique, UNE
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[Chronique] Claude Minière, Le drame de Mallarmé

Vous pouvez couper si vous entrez dans le cadre. Et sinon, c’est le drame. Je ne crois pas qu’il y ait quelqu’un à avoir plus violemment que Mallarmé vécu la tension entre les deux pôles du littérateur (le « cadre ») et du poète (hors cadre). « Je redeviens un littérateur pur et simple », dira-t-il à un moment où il espère s’être mis à l’abri de l’infini de ses tourments et de la dépression (lettre à Cazalis, mars 1871).

Le littérateur écrit des poèmes, il fait, il réalise. Et parfois travaille à la constitution d’une œuvre, architecturée. Le poète est hanté par la vision d’une Œuvre pure : « Arrivé à la vision horrible d’une Œuvre pure, j’ai presque perdu la raison et le sens des paroles les plus familières » (lettre à François Coppée, avril 1868). L’œuvre pure est à dessiner, sans encore de semblable. Autonome. Néante et cependant imaginable. Elle n’est pas l’impossible, elle est au contraire le possible puisque l’Idée en est venue, un possible désormais torturant d’autant plus que l’espoir d’en montrer « un fragment d’exécuté » ne sera pas abandonné. Ce qui est en puissance est plus pressant que ce qui est réalisé. Ultime solution (?), Un coup de dés, poème réalisé, sera « à la puissance du ciel étoilé », mais pour conter un naufrage.

L’œuvre rêvée (parfois cauchemar, abîme, insomnie), entrevue, ne se composerait pas en résultat, par accumulation, addition de pièces, Mallarmé veut d’abord en saisir la structure qui accueillerait les éléments trouvant là leur place en rapports. Le grand Œuvre envisagé – aussi bien le Livre – serait Musique, « rythme entre des rapports ». Ce qui n’est point mirage, comme l’avance J.-L. Steinmetz (dans sa préface à Mallarmé, Poésies et autres textes, Le livre de poche), mais demeure fort lointain, en constellation. Paul Claudel, qui avait entendu les « leçons » de Mallarmé (les fameux Mardis, rue de Rome), comme par sursaut réclamera du concret et de l’individuel.

La ronde formule de Guy Debord, « Pour savoir écrire il faut savoir lire et pour savoir lire il faut savoir vivre », apparaît en ce cas bien peu considérée et plutôt histrionique. Mallarmé avait un certain savoir-vivre (mondanités, navigation solitaire sur la Seine), et il savait lire, mais il ne pouvait s’en tenir à la position du « littérateur pur et simple ». Conflit des puretés ?

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