[Chronique] Pascale Petit, Pas de printemps pour Acapulco, par Bruno Fern

septembre 18, 2022
in Category: chronique, livres reçus, UNE
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[Chronique] Pascale Petit, Pas de printemps pour Acapulco, par Bruno Fern

Pascale Petit, Pas de printemps pour Acapulco, Série discrète, printemps 2022, 72 pages, 14 €, ISBN : 978-2-9576942-2-8.

 

D’emblée, ce nouveau livre de Pascale Petit est placé sous le signe du rêve puisque les deux citations liminaires sont présentées comme extraites de ndlr qui, précise l’auteure, ne signifie pas ici note de la rédaction mais notes de la rêveuse. En effet, la dimension onirique est omniprésente dans cet ouvrage fait d’une seule suite de lignes que l’on pourrait rattacher à la prose coupée chère à Jean-Christophe Bailly (Basse continue, Seuil, 2000) – et ce même si l’on trouve quelques marques habituellement associées à la pratique du vers, telle la rime : « léger trouble de surface / surf sous la menace / comment gérer sa masse / corporelle dans l’espace ? » Il s’agirait plutôt d’un rêve éveillé dont la tonalité générale est indiquée dès le début : « mes cauchemars passent à la télé », affirmation qui, hélas, rappelle ladite actualité de ces derniers temps, entre guerres et réchauffement climatique de plus en plus destructeur.

Pour tresser ce long fil mêlant français et globish, Pascale Petit a effectué des prélèvements dans différents discours issus des réseaux sociaux, des slogans publicitaires ou politiques, etc., dont le point commun est qu’ils constituent cette masse verbale à travers laquelle, en parlant, nous sommes le plus souvent parlés. Même si la plupart de ces énoncés sont tenus à la première personne du singulier, cette dernière, malgré l’apparition fréquente d’un tu, semble surtout s’adresser à elle-même, peut-être pour mieux souligner un enfermement intérieur. Par ailleurs, l’absence totale de majuscules pourrait s’interpréter comme le résultat d’un arasement, rien n’appartenant en propre ni à des individus ni à des lieux devenus interchangeables. Cela dit, l’auteure glisse de multiples grains de sable dans cette universelle machinerie de la com tous azimuts. Pour y parvenir, sa principale méthode est le montage qui produit souvent des enchaînements cocasses (« pourquoi payer plus cher ton monte-escalier ? / essaye dieu ça ouvre des portes ») et des répétitions évoquant autant le matraquage de la pub que celui des infos en continu, jusqu’à ce que le disque soit rayé (« être accro au shopping c’est bon pour la forêt / bon pour la forêt / bon pour la forêt / bon pour la forêt »). Elle recourt également à des détournements divers : « t’es plutôt / oléoducs ou mines de diamants ? / chasse aux phoques ou aurores boréales ? / safari à plusieurs ou désarroi tout seul ? » De nombreux tics de l’individu occidental moyen passent à la moulinette implacable de Pascale Petit : narcissisme exacerbé par les recettes du développement personnel (« je respire plus profondément pendant les heures creuses / le matin je suis plus en forme / je suis optimiste pour la fin de l’année / je mâche avec les dents du fond / j’appelle ça l’harmonie parfaite »), fantasmes de toute-puissance (« j’aime mon sac i love my bag / et mon portable peut me dire le prix du kilo de bananes / solidaire des crocodiles du lac apopka je peux réagir / je peux réagir tous les jours 24 heures sur 24 »), tourisme compulsif (« PENSEZ DÉJÀ À VOS VACANCES À TUVALU / LE SIXIÈME CONTINENT VOUS ATTEND »),  hyper-consommation (« je le veux / je l’ai déjà / je le veux / je l’ai déjà / je l’ai déjà / je le veux encore »), etc.

Ainsi, de façon aussi grave que drôle, l’auteure montre à quel point l’imaginaire de chacun, « sa vie rêvée », est en fait gangrené par tous ces discours qui mènent droit à la dépersonnalisation dans un monde trop virtuel pour être vrai : « je me cherche / ne me trouve pas / je suis en hiver / avec des hommes nus sur un mur / je ne me suis pas perdue / mais je ne sais plus où je suis » Comme paraît le suggérer la fin du livre, la solution serait probablement de se mettre en retrait, d’arrêter de répondre sans cesse aux incessantes sollicitations / injonctions : « ne m’écris plus quand je te parle », autrement dit par Imre Kertész : « Je ne consomme pas et je ne suis pas consommable » (Le Refus, Actes Sud, 2001).

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