[Chronique] Sébastien Ecorce à propos de 33 fois quelque chose d'Aden Ellias

[Chronique] Sébastien Ecorce à propos de 33 fois quelque chose d’Aden Ellias

octobre 15, 2022
in Category: chronique, livres reçus, UNE
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[Chronique] Sébastien Ecorce à propos de 33 fois quelque chose d’Aden Ellias

Aden Ellias, 33 fois quelque chose, H & O éditions, coll. « La Fabrique de la nuit », octobre 2022, 92 pages, 12 €, ISBN : 978-2-84547-409-3. [Arrière-plan : © Philippe Decrauzat]

 

On pourra lire avec émerveillement la variation perpétuelle autour de positions, de jalons, de balises, de passages, de Aden Ellias.

 

« 33 fois quelque chose »,

 

Ce quelque chose n’est pas au demeurant ce que l’on pourrait croire.

Ce n’est pas un X, un inconnu, ni un Réel à déterminer, ou à dénombrer.

Ce n’est pas un secret.

Ce pourrait être un complexe. Un ensemble de complexes. Une complexion.

Une torsion. Ou une tension.

Mais non.

C’est davantage une présence qui agit, qui agit sur la forme même de ces 33 survenances.

Un « quelque chose » générique, et génésique.

Un « quelque chose » qui inscrit ses mouvements propres en nos antipodes.

De l’image donc, comme plans, avec ses séquentialités, à dérouler.

 

Nous est-il permis de voir (la construction d’un voir) ainsi en ces petits arrangements, ces raccords, ces accords de vie, qui se concrétisent, s’affinent à jouer la concordance et la discordance entre temps et espace, entre désir et fantasme. On fictionne entre les limites d’un soi, non soi, dans une immunité cyclée soumise à inflexion, variable, intrépide, et vive.

 

Cela fait non seulement poème, mais cela parvient surtout à faire surgir des « lignes de monstres », tirées non pas d’un passé, d’un présent, ou d’un futur, mais de ces lignes de monstres qui créent leurs propres rythmes, leurs propres formes –

On désire, puis on échoue. D’un trait.

On voudrait toucher d’un trait.

Et on tourne la condition, la faisant tourner, la dé-tournant, lui donnant l’ossature d’une construction autre. Un autre sens au terme d’emboîtage, ou d’encastrement.

Il faut avoir de l’œil, de cette puissance de conversion, et de ce retrait, qui structure tout regard sur.

 

On y retrouve ce criticisme fin, vif, et souple sur des investissements libidineux, décharges et transgressions des universaux liées au capitalisme avancé.

Le Cas Bernard. Tout un syndrome métaphorique. Ou dysphorique des temps actuels. Renvoyant à la logique négatrice de certains Discours.

On y retrouve le commencement. Ou cette fin. Ce peut être une question d’homme. Des conditions de l’homme. Une question qui viserait à « entendre le vide des interstices ».

On y retrouve ces versements, ces lignes contiguës entre les imaginaires, entre les matrices génératives de l’auteur, ou de ce qu’il croit en être, entre les filiations, peu communes, Duras, Lacan. On pourrait ajouter Ponge, en cette manière, précise et fine, dense et expressive. Cette forme de dérive.  De traverser l’objet, pour s’en écarter mieux, et ainsi, en rendre visible une autre topologie. Une forme d’initiatique revisitée, toute singulière, avec un dilettantisme exquis et maîtrisé.

Car la dérive, comme l’improvisation, nécessite une forme de maîtrise. Et cela implique de ne pas savoir. Il faut savoir ne pas savoir, pour dériver. Une décontraction tensive, et une forme paradoxale de dilettantisme en somme qui tresse l’exigence de vivre.

 

Et le jeu, à prendre le lecteur pour ce qu’il n’est pas, alors que lui, l’auteur, sait où il n’est pas, se situe là où il n’est pas. Ou pas encore. Pas assez. Ou que trop. Car il s’agit toujours en ces poèmes, de petits équilibres, de mouvements, de traits homéostatiques prêts à tout renversement. Je suis là où je ne suis pas. C’est toujours de cette question « d’entrer en vérité avec le monde ». Une question de toucher. Et de regard. Et ce contrepoint, fondateur, qu‘il n’en est jamais assez « d’étendue. »

 

En cet amour, son amour, cet amour de l’achose, perdre sa vie à la gagner. Gagner sa vie à la perdre. Un écueil sur lequel Aden Ellias semble danser avec une certaine sévérité et une grande légèreté. Une jonglerie savante. Sans pesanteur. Animée toujours du même saut. Mais d’une saltation qui n’élimine jamais réellement l’objet. Hors gravité. Cette profondeur de la surface.

On croit toucher l’objet. Mais ce n’est peut-être que l’ombre de l’objet. De ce sujet qui se décale. S’oriente différemment.

 

« Si personne ne réduit la nudité que je dis », selon Bataille.

 

Il faut que la phrase vienne. Touche au regard.

 

Entre deux portes, entre deux phrases. Etre soi-même. Un peu.

 

Et être capable de se saisir, à « donner des noms de lieux à la folie furieuse. ».

Etre en plusieurs centres, et gouter à cette « puissance de renforcement par l’effacement »

Car, nous le sentons bien, nous n’écrivons pas qu’avec des mots. Ni qu’avec des corps.

Peut-être, toujours ne « s’autoriser » que par soi-même –

 

« Vous ne seriez pas celui qui écrit, par hasard »

 

 

Sébastien Ecorce, Professeur de Neurobiologie, enseignant-chercheur, co-responsable de Neuroc., (Salpetrière, Icm). Créateur graphique, poète.

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