[Chronique] Mutantisme 1.3, par Christophe Stolowicki

[Chronique] Mutantisme 1.3, par Christophe Stolowicki

novembre 24, 2023
in Category: chronique, livres reçus, UNE
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[Chronique] Mutantisme 1.3, par Christophe Stolowicki

Mutantisme 1.3. Bulletin de liaison mutantiste : mécanismes for rêveurs mécanismes forever, éditions Caméras animales, septembre 2023, 156 pages, 15 €, ISBN : 978-2-9559879-1-9.

 

Pour commencer, un mot des images (pardon, « Crédits Images ») de cette insolite petite revue, qui ne l’illustrent pas mais la commandent, comme il est légitime pour une poésie naguère (jadis, tant les temps se ruent) appelée concrète, et une, voire deux générations après, mutantiste.

Celles qui lèvent le plus d’émotion, dites « sculptextes », non signées comme il est de règle ici, même pour les textes proprement dits, ont pour auteur Méryl Marchetti, qu’il s’agisse de cordage (corps d’âge) blanc imprimé, entortillé en mieux qu’au papier un savant origami, d’un analogue rhizome résistant à l’engouffrement dans de circulaires abysses de tsunami inverse, de son cousin quasi scriptural ou d‘autres de haut vol. Les poètes ont beau se desquamer en machines, en mécaniques de diffusion, grâce à MM on leur passe presque tout.

Revue Mut 1.3, Mut pour « mutantiste », et 1.3 qui nous dit que le mutantisme dont elle est l’organe est récent mais qu’il a déjà un passé : une revue exceptionnelle, une revue comme d’autres. Comme d’autres pour débuter, qui la préserve de l’appareil totalitaire déployé ici avec un talent sûr. Tels deux textes en continu, un de Charles Pennequin intitulé La Pennequin-machine en abondant dans l’esprit de la maison, mais où ce qu’il écrit du roman et de la poésie, de l’écriture et de la lecture (« Je n’ai pour ainsi dire jamais su lire et c’est une chance […] Je n’ai su lire que des poètes […] / de toute façon j’ai dix ans d’âge mental ») est éminemment sympathique ; l’autre de Florence Virginie où il est question d’avoir sauvé un Polonais – de sa déliquescence –, reparti avec un grand merci, ainsi qu’un goéland blessé, qu’elle eut le tort de trop de scrupule de confier à une association animale, qui l’a euthanasié – que n’importe quelle revue publierait. Mais celle-ci exceptionnelle, outrant comme en gageure tout ce que je déteste, tels le franglais américain et l’écriture inclusive dans « Chalenge biohardcore pour urbain.e.s confiné.e.s » d’Antoine Boute, le marxisme en gestation complotiste (« créez vos cellules ») et le semblant d’écriture collective, l’esprit militant transposé en poésie, celle naguère dite visuelle, un naguère qui a couleur de jadis, poésie visuelle gentiment appelant à participation dont le seul survivant est dans ces pages Julien Blaine ; particulière par son intitulé « mutantiste » dont le mutantisme, à l’opposé du vieux Darwin qui fait de la mutation le partenaire de la sélection, mot ici honni, naturelle, mot ici banni au profit de la seule machine et de son langage-machine bien incorporé, à l’opposé de l’éthologie dont le nom de la maison, caméras animales, faisait augurer quelque emploi, est un isthme des plus resserrés dont on n’est pas sûr de ressortir vivant ; revue phagocytant la plupart de ses auteurs, dont il faut tout un jeu de piste pour découvrir le nom codé en regard de leur texte, au profit de son grand inspirateur et meneur de je, Mathias Richard, comme savait déjà faire André Breton qui à l’âge de croisière de l’ordinateur peut passer pour un lointain Arnaut Daniel ; mais revue dont jaillissent d’insolites beautés, telle cette quatrième de couverture qui m’a fait la vouloir, ce mécanismes for rêveurs à ciel ouvert dont les rêves sont absents mais non leur ombre portée, retournée comme au miroir intérieur, forever devant désormais être préféré à for ever pour désigner une littéraire plutôt que fiable éternité.

De l’apparat idéologique du marxisme, ici tout en préceptes illustrés d’une poétique de l’anaphore à maints registres, ressort une poésie non de l’aléatoire comme aux débuts de l’emprise de l’ordinateur mais du concerté.

Anna Serra s’essayant à ce collectif avec enthousiasme – juste un peu trop vibrante pour la machine.

De Yoann Sarrat une provocation de bel humour : « Poésie de chair et de sang au format A4 ».

Mathias Richard (ou me suis-je trompé d’initiales devant sa machine ?) dénonçant contemporain comme désuet, dépassé, à l’instar d’un moderne sombré dans le révolu depuis lurette, faut-il dire désormais « post-contemporain » sans craindre qu’on y lise un synonyme de futur ?

Cette poésie selon toute apparence un peu trop générationnelle n’a pas encore intégré l’IA, dont dans les milieux économiques plus personne ne prend la peine de développer le sigle. Dans dix ans le mutantisme ne sera-t-il pas désuet de sa machine encore trop intelligente, pas assez artificielle ?

© Bandeau : Meryl Marchetti.

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