[Chronique] Isabelle Baladine Howald, M, par CHRISTOPHE STOLOWICKI

avril 18, 2024
in Category: chronique, livres reçus, UNE
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[Chronique] Isabelle Baladine Howald, M, par CHRISTOPHE STOLOWICKI

Isabelle Baladine Howald, M, Isabelle Sauvage, février 2024, 62 pages, 13 €, ISBN : 978-2-49038-540-9.

En entrée de cette plaquette titrée M, adressée à « M », entre « m » et soi étirant en retour à chaque vers où elle est évoquée le blanc de l’amour que la poète n’a pas reçu, un double exergue : « aux survivants / à ceux qui n’ont pas survécu », et la coda des six cygnes, l’un des plus beaux contes de Grimm, de ceux traduits dans l’édition Gründ de 1963 : Quand vint le jour où le verdict devait être exécuté […] le dernier des six années au cours desquelles elle n’avait ni le droit de parler ni de rire et où elle pourrait libérer ses frères chéris du mauvais sort […] quand elle fut en haut du bûcher, au moment où le feu devait être allumé, elle regarda autour d’elle et vit que les six cygnes arrivaient en volant […] elle put leur lancer les chemises. Dès qu’elles les atteignirent, les plumes des cygnes tombèrent et ses frères se tinrent devant elle en chair et en os, frais et beaux. Il ne manquait au plus jeune que le bras gauche. À la place il avait une aile de cygne dans le dos.  

Elle désire ardemment un enfant. Ses vœux sont exaucés. « Malheureusement sa joie fut si grande qu’elle mourut aussitôt. » Ça c’est du Grimm.

Dans le halo des Grimm mieux que sur un divan, et même en se tenant au plus coi de leur éclairage, Isabelle Baladine Howald peut dans M tirer au clair (« j’           ai  les bras-tiges cisaillés de ses coups de sécateur à n’importe quelle saison dans les rosiers (un Gebrüder Grimm dans mon jardin, à présent) / […] J’               ai la bouche entaillée              d’avoir léché la pierre pour sentir le goût de quelque chose ») sa désolation consubstantielle, qui n’est cependant pas un esseulement. Car il faut aller jusqu’au bout de la plaquette pour comprendre le premier exergue, qui évoque un frère mort du peu d’amour quand elle et ses sœurs ont su s’en contenter, ont survécu. Et se développe tout le paradoxe de son imprégnation aux contes de Grimm où abondent de vraies marâtres, réservant leur amour à leur progéniture en le refusant aux enfants d’un premier lit, les six cygnes choisi restant une exception et Cendrillon la norme.

Le malheur partagé qui laisse à la poète, en arrière-plan, les avantages d’être la porte-parole d’une fratrie, donne plus de tenue à sa charge contre une mère simplement fruste : « pour qu’elle ait pu         à ce point l’amour         me priver d’air […] me laisse sur le flanc » ; « je n’en peux plus de m          épuiser de m         tenir / […] manger salir et décider du sort de la décapitation » – d’une mère faussaire, mentant sur leur généalogie, qui a fait de la vie un tel parcours d’obstacles. Rappelant que la loi prescrit à ses filles de la prendre en charge dans son insuffisante retraite, alors qu’elle préfère celles des autres, et leurs cadeaux.

Mais « Petite est née dans la lumière d’août » – l’enfant réparatrice.

Je suis curieux de ce que sera le livre de deuil de mère d’Isabelle Baladine Howald – puissant, j’imagine, comme elle ne l’imagine pas.

        

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Fabrice Thumerel

Critique et chercheur international spécialisé dans le contemporain (littérature et sciences humaines).

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