[Texte] Christophe Esnault, Lettre aux chroniqueurs qui découvrent deux Rimbaud par semaine

[Texte] Christophe Esnault, Lettre aux chroniqueurs qui découvrent deux Rimbaud par semaine

décembre 10, 2025
in Category: Création, UNE
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[Texte] Christophe Esnault, Lettre aux chroniqueurs qui découvrent deux Rimbaud par semaine

Merci, je commande dès ce soir, quand je passe à la librairie Vite lu vite oublié. Le « Incontournable !! », le « À ne rater sous aucun prétexte », le « Absolument magnifique », ou encore le « Votre mère ne va pas vous reconnaître quand vous aurez lu cette merveille de virtuosité sonore à la syntaxe érythréenne éblouissante », et vos pluies torrentielles de superlatifs. Le dire tout de suite, je me dilate, je succombe, je trépigne, je le veux. Maintenant ! Je ne suis pas prêt psychologiquement pour passer à côté de l’auteur de son siècle. Je préfère perdre – Jeter par terre – vingt balles (ou, par an : 200 x 20 balles (je lis beaucoup)) que d’être un meurtri couillon de la lune qui n’a pas lu Sous-Bukowski n°69 085 ou Étoile montante deulapoezi n°2 034, recommandés chaudement le même jour chez Sitôt survolé sitôt refermé et chez Chaque Poésie à son couvercle. Ma hantise, mot faible, ma terreur nocturne, vous l’aurez compris, c’est d’être damné de n’avoir lu bien avant tout le monde l’écrivain ou poète paradigmatique, qui s’invente huit fois par mois ou bien davantage quand on est à l’affût depuis son fil d’actu, son Insta, ou sa déambulation quotidienne sur des sites et revues dédiés aux nombrils purulents des poètes déréglés et à leur production acéphalo-voyante. Je t’aime d’amour et follement, chroniqueur et dissident politique (tu mènes aussi au péril de ton poil doux des actions coups de poing chez L214). Tu as l’audace et l’extravagance révolutionnaire de découvrir un Rimbaud tous les trois jours. Le dire, j’ai du mal à suivre, même en mangeant des pâtes sans beurre et du pain sans fromage. Se réinventer dans la camaraderie enflammée pour le poète, la poète et son éditeur (et les animalistes quand il faut élargir son audience), c’est beau comme une Picasso toutes options, à phares verts, qui fend la nuit moderne sur le chemin du fleuve par temps de givre. L’idée d’aimer les poètes, les aimer à peu près tous, m’inspire un sec rejet qui se confond avec celui que j’ai pour les démagogues de tout pelage qui envahissent le monde et le pollue, avec le désir de se faire pléthore de copains de Marseille à Charleville. Le stakhanovisme de la production critique en dithyrambes et en apologues tremblotants d’émotion humide synesthésique devant la découverte d’une langue, ça sent surtout le business plan de la retape gros sabots pour se faire des potes rasta et albinos qui te reconnaîtront comme l’un des leurs, toi le chroniqueur qui écris aussi. En modestie et en éclair tardif de lucidité, je le confie ici : les poètes, ils me sortent par les trous de nez, avec leurs nouveautés, leurs actus, leurs résidences, leur indispensable travail sur le rythme, leur performance, leurs combats puérils, et leurs parutions à la Gastro pastorale, pour sauver la Terre et les maltraitances/injustices généralisées, avec de molles inventions formelles sémantico-socialo-novatrices-cui-cui, je ne veux pas les avoir pour copains ces buses, ni même empaillées. On ne distingue pas d’un prix les gens sains qui ne liront jamais de la poésie contemporaine parce qu’ils ne sont pas assez crétins pour cela. On a tort. Ce sont des belles personnes à qui il faudra rappeler qu’ils ont une âme et que cela leur ouvre tous les mondes visibles et invisibles. C’est bien connu, les repentis – anciens lecteurs boulimiques de tout ce qui sort à la marge – sont toujours les plus virulents, mes erreurs, mes beaux achats compulsifs de simple d’esprit me recadrent sur le rejet (deuxième occurrence) pour la profusion indigente et terne dont il y aurait supposément urgence à tant mettre sous éclairage. La manie d’écriture et le besoin de se faire mousser avec un livre ou avec trente. Sans avoir en amont lu les génies hallucinés des décennies et siècles précédents au motif qu’ils ne likeront pas votre post sur le réseau, et pire ne partageront aucune de vos publications. Je questionne mon (ancienne) curiosité pour les textes encensés par vous et présentés en chefs d’œuvre. Sincèrement, n’était-elle pas suspecte cette appétence mienne ? Maladive. Pathologique. Ou débile ? Est-ce que, plein de fois, peut-être un millier de fois, sur un marché de la poésie ou un salon, on ne m’a pas, bien sûr, volé, entourloupé le prix d’un plat du jour + entrée + dessert + un deuxième pichet, à la Civette, ou de quelques très bonnes bouteilles de vin bleu ? Soutenir les viticulteurs et les cavistes ou les poètes en simili devenir, il faut savoir, en illuminations, prendre une sage décision et s’y tenir. Vous ne trouvez pas ?

Christophe Esnault, non-poète autoproclamé, lecteur déchu, et alcoolique notoire,

Extrait de Pistolet à bouchon sur la tempe (écriture surnuméraire en cours)

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