[Chronique] Carole Darricarrère, à propose de Éric Villeneuve, Tache jaune monochrome bleu sorte de blanc

[Chronique] Carole Darricarrère, à propose de Éric Villeneuve, Tache jaune monochrome bleu sorte de blanc

mai 21, 2022
in Category: chronique, livres reçus, UNE
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[Chronique] Carole Darricarrère, à propose de Éric Villeneuve, Tache jaune monochrome bleu sorte de blanc

Éric Villeneuve, Tache jaune monochrome bleu sorte de blanc, Lanskine, printemps 2022, 112 pages, 14€, ISBN : 978-2-35963-064-0.

 

À la verticale de la fourmilière, le silence est d’or… 

En superposant du jaune, du bleu et une sorte indéfinissable de laitance, il était une fois un titre – une intrigue minérale –, ou une « image chantée » qui immédiatement ferait tache, sorte de chimère débordant déjà de tous les côtés vivante, prompte à s’opacifier, se pixelliser, s’étendre, dans laquelle il serait loisible d’entrevoir le tout-ou-rien : un kakejiku, une île, une hydre, une méduse, un relief, une créature, un hologramme, une tumeur, un truc – oui quelque concept numériquement paradoxal –, « un essaim de « pixels », mettons » dit-il, qui participerait tacitement, dès la couverture, d’un dispositif.

(son titre est une formule magique qui emprunte à la couleur cette puissante plasticité que les mots à eux seuls savent rarement offrir)

« Pieds nus, je n’ai pas besoin de lampe, non : je sens tout ce qu’il y a à sentir, dans la chambre du fond. », pieds nus les yeux bandés, d’où viennent ces mots sensibles « qui coulent, s’écoulent (…) en permanence » à même le livre comme dans un rêve éveillé, où vont-ils, sorte de volatiles, oh malice, dans l’ambivalence rien n’est sûr, les « battements d’ailes » d’un ciré d’emprunt « greffés dans le dos » bonjour, je cherche mon chemin de pollen, entre deux paragraphes me voici projetée aux confins d’un royaume rugueux aux beaux noms étrangers de bout du monde, conviée à dormir debout « sans bien comprendre ce que je »… lis, « Ah, le monochrome bleu… », « l’énigmatique créature de la chambre du fond », « l’essaim de pixels » de la couverture, son « image chantée » s’agissant de …

« tracer (s)on propre chemin à l’intérieur d’(un) conte »

… en toute connivence, toi c’est moi, mon imaginaire, papiers calque découpés au vol, découlant à s’y méprendre l’un de l’autre, identités nomades dont l’unité de mesure n’est autre que le degré de perméabilité, point de repère d’un lit de sables mouvants.

À lire, ici, l’écart qui cohabite entre le jour et sa mue, en douceur « une sorte de bâche ou de glace sans teint recouvre tout à la fois la pupille, l’iris et le blanc de l’œil » empêché de cerner l’oscillant poème qui jamais ne (ra)conte tout à fait, « la plainte des oiseaux interdits de vol plané », dès lors que…

lire, c’est apprendre à voler…

… et voler à atterrir

sorte…

… d’hypnose à l’appui d’un courant d’air

Éric Villeneuve, telle une balle d’étamines, fait voyage dans le grain furtif de la traversée, fait sien le charme étranger des mots-images qui advenant-échappant intiment de « se retourner », copie-colle le passage du jaune sur la bleue nébuleuse d’un blanc de mer dont la mémoire geste comme fontaine de jouvence, invente une conversation de pas de côté en vis à vis d’un trousseau de réminiscences, improvise, déplace, superpose (la fable, la poésie, les unités de temps les distances les espaces, la déambulation médiumnique procédant du voyage), rebondit, commente, souscrit, fait semblant de s’égarer, jusqu’au point de fusion (d’apogée, d’acmé), page 71 de 105, du jaune avec la lumière et de la lumière avec le blanc, toutes sortes de blanc d’abord comme autant de « vents mauvais » donnant naissance à une « toute nouvelle couleur », le « blanc spectral (…) légèrement bleuté des apparitions » à même le langage tel une sorte de monologue mallarméen de l’invisible à travers soi : l’« écoute nue » de « l’écho intérieur » féminin de la parole, le « murmure indistinct » d’une « émanation lumineuse » s’agrégeant au moindre prétexte, sorte d’inversion des pôles chromatique.

La vertu première d’un conte n’est-elle pas de nous faire subrepticement basculer du trivial au sacré ?

Un mal n’est-il pas souvent in fine un mal pour un bien, portail des initiations ?

Qu’est-ce qu’un conte ?

1/ une part motrice de jaune bon,

2/ une part occulte contrastée d’ombre négative (de jour et de nuit, de bien et de mal, de oui et de non)

– « Sans doute est-ce le moment, déjà, où le conte noircit ? » –

3/ faire crépiter le tout et le rien à petits degrés sibyllins de coups de baguette magique jusqu’à obtention d’une aura de lumière, cœur fondant du sens et larmes dures, une part franche d’écriture et – au milieu, parfois au bout du bout d’une attente linéaire – la fin de l’écriture, la formule éthérique merveilleusement volatile d’un supplément d’inspiration que l’on nomme par défaut poésie, transcende le temps de la phrase et transporte instantanément le lecteur comme sur un coussin d’air de l’autre côté du livre ; le reste n’étant que « reliquat » de « remous », tache et grain de l’autour cousu main, « mots figés (…) à ranimer au prix d’un nouvel effort de ventriloquie »…

… a contrario de la valeur ajoutée de l’expression immanente d’un vide habité, le reste n’est qu’un…

surcroît  de  définition

*

Qu’importe le prétexte, de l’histoire ne retenir que silence e(s)t longueur d’onde,

Car qu’est-ce qu’un vrai livre sinon un obscur objet de désir serti d’une sorte de rayonnement aromatique ?

À l’équerre du silence, le poète est un animal psychopompe…

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librCritique

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