[Chronique] Giorgio Agamben, Quand la maison brûle, par Guillaume Basquin

mars 17, 2022
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[Chronique] Giorgio Agamben, Quand la maison brûle, par Guillaume Basquin

Giorgio Agamben, Quand la maison brûle, traduit de l’italien par Leo Texier, Rivages, coll. « Bibliothèque », hiver 2021-22, 80 pages, 12 €, ISBN : 978-2-7436-5491-7.

 

Nul n’aura été plus en pointe dans le combat contre la Grande Terreur sanitaire que le philosophe italien Giorgio Agamben, dernier grand de la philosophie mondiale encore en activité selon nous (il a connu et fréquenté Pasolini, Klossowski, Guy Debord, Deleuze, Foucault, etc.). Nul livre n’est donc plus urgent à lire (en attendant la traduction française de tous ses écrits sur la crise politico-sanitaire du Covid-19 qu’on peut trouver sur le site de son éditeur italien, Quolibet) que ce Quand la maison brûle.

Ce livre est un recueil de quatre textes indépendants, mais c’est le premier, qui lui donne son titre, qui attire toute notre attention. « Quelle est cette maison qui brûle ? », interroge l’auteur. Est-ce « le pays où tu vis ou bien l’Europe, ou encore le monde entier » ? La réponse du philosophe rejoint celle du philosophe et écrivain Fabrice Hadjadj, premier commentateur sérieux de notre crise dans sa série vidéo « Penser entre la peste et le corona », et qui disait à peu près : « Peut-être que nous ne vivons déjà plus dans une Cité… mais dans une sorte de camp de la vie biologique nue » (je cite de mémoire) : « Peut-être les maisons et les villes ont-elles déjà brûlé, depuis on ne sait combien de temps, dans un unique et immense brasier que nous avons feint de ne pas voir. » Cet incendie, pour Agamben, a commencé avec la Grande Boucherie de 1914-1918, qui jeta dans « les flammes et la folie tout ce qui semblait rester d’intègre ». Il n’a depuis lors « cessé de brûler, sans trêve, à bas bruit »… (Inutile d’insister sur l’incendie intégral que constitua la Seconde Guerre mondiale, n’est-ce pas ?…) Mais que s’est-il donc passé de si spécial en 2020 ? « Aujourd’hui il n’y a plus de flammes, mais seulement des nombres, des chiffres et des mensonges… » Eh oui… car voici ce qui s’est en vérité passé : dans la Bible, la peste tombe sur le peuple israélite quand on commence à compter (dénombrer) les têtes des tribus d’Israël ; en 2020, la Grande Peste politique est subrepticement (peu l’ont dans un premier temps remarqué) arrivée quand on commença à compter linéairement et sans aucune mise en perspective les morts : le fascisme était de retour, sous une forme « sanitaire », importée de Chine…

Agamben décrit ce qu’il voit, et, plus difficile, voit ce qu’il y a à voir : « Nous vivons dans des maisons, des villes consumées de fond en comble comme si elles tenaient encore debout. Les gens feignent d’y habiter et sortent dans la rue masqués parmi les ruines comme s’il s’agissait encore des quartiers familiers d’autrefois. » Que s’est-il passé ? Une propagande comme jamais on n’en vit depuis la Guerre froide est passée par là, renforcée par la toute puissance des outils technologiques et des GAFAM, premiers propagandistes de ladite Terreur : comment imaginer des confinements sans l’informatique, sans le télétravail ? Impossible, n’est-ce pas ? Tout a suivi… jusqu’à l’obligation de présenter un pass vaccinal dans la Cité où vit encore Agamben, Venise, pour pouvoir prendre un vaporetto… « Aujourd’hui la flamme a changé de forme et de nature, elle s’est faite digitale, invisible et froide, mais par là aussi justement toujours plus proche ; elle rôde et nous encercle à chaque instant. » Et nous tournons dans le jour et la nuit, et nous ne sommes même plus consumés (la flamme est trop peu intense)… mais anesthésiés (notre pensée, nos corps). « Comment témoigner d’un monde qui va vers sa ruine les yeux bandés et le visage couvert, d’une république qui s’effondre sans lucidité ni fierté, dans l’abjection et la peur ? » Tel est tout l’enjeu du travail philosophique d’Agamben ; et nous lui en savons infiniment gré.

En bon lecteur de Walter Benjamin, Hannah Arendt et Carl Schmitt, Agamben nous met en garde contre la tentation d’États forts et puissants en état d’exception permanent. « Les hommes doivent être mobilisés, ils doivent se sentir à chaque instant dans une situation d’urgence, réglée jusque dans ses moindres détails par qui a le pouvoir de la décréter » (tel était l’Ancien monde, celui des totalitarismes maintenant folkloriques du vieux 20e siècle) ; « mais alors que la mobilisation avait par le passé pour but de rapprocher les hommes [contre un ennemi désigné, plus ou moins imaginaire et fantasmé, toujours bouc-émissaire], elle ne vise aujourd’hui qu’à les isoler et à les éloigner les uns des autres ». Vous avez là tous les prémices des confinements, du masque obligatoire partout et tout le temps (sorte de confinement individuel), de la « distanciation sociale » (quelle expression horrible, que je ne trace à l’aide de mon clavier qu’avec horreur), du télétravail et des études en « distanciel » (idem). Et ça a marché ? Non ! On continue ? Ça dépend des pays…

« L’homme aujourd’hui disparaît… ce qui en prend la place n’a plus de monde, ce n’est plus qu’une vie nue, muette et sans histoire, à la merci des calculs du pouvoir et de la science. » Que faire ? Écrire. Témoigner. Dire une parole juste. Renouer des liens d’amitié. Être dans l’amitié. Se toucher. S’embrasser. « Ne peut dire la vérité que celui qui n’a aucune chance d’être entendu, celui qui parle depuis une maison qui tout autour de lui se trouve impitoyablement consumée par les flammes. » In girum imus nocte et consumimur igni

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Guillaume Basquin

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