[Chronique] Jean-Paul Gavard-Perret, Débordements de Paul-Armand Gette

[Chronique] Jean-Paul Gavard-Perret, Débordements de Paul-Armand Gette

juin 11, 2022
in Category: chronique, livres reçus, UNE
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[Chronique] Jean-Paul Gavard-Perret, Débordements de Paul-Armand Gette

Artémis & Paul-Armand Gette – 50 ans de rencontres & conversations ». Textes de Blandine Chavanne, Paul-Armand Gette, Nadine Gomez-Passamar, Bernard Marcadé, Marguerite Pilven, Lydie Rekow-Fond, Alexandre Rolla. Les presses du réel – Al Dante, juin 2022, 264 pages, 35 €, ISBN : 978-2-37896-327-9.

 

A sa façon P-A Gette est un bouilleur de cru et un brouilleur de cartes. Il prépare de manière la plus soigneuse ses photographies aux fruits inattendus et qui n’ont rien de pétrifiés. L’artiste reste le photographe de la réflexion et de l’audace. Les deux se rejoignent souvent dans une sorte d’humour qui n’exclut pas au contraire une forme de cérémonial transgressif. Dans la précision formelle et à chaque époque de son  œuvre – malgré les apparences si opposées qu’elles puissent parfois prendre –, Gette demeure  un géomètre et un cavalier. Son aventure plastique et son expérience poétique sont indissociables. L’artiste et écrivain crée toujours un obstacle au pur jaillissement, à la jubilation prématurée auxquels inclinerait sa sensibilité romantique qu’il atténue par l’humour intempestif autant dans le propos que dans ses mises en scènes.

Souvenons-nous de son « toucher du modèle ». Sa main glisse sous l’élastique d’un slip féminin et laisse apparaître le foisonnement d’une toison.  Preuve que la fréquentation des nymphes et des déesses n’est pas de tout repos même si la cueillette des fraises en leur compagnie est un plaisir affolant. Gette a la courtoisie perverse de nous en offrir des états. Il met ainsi – et si l’on peut dire – la main à la pâte… pour, dit-il, « apporter sa petite contribution à la mythologie et à l’art ». Toutefois, il s’extrait des histoires de famille des dieux antiques et préfère dériver sur les déesses par l’entremise de ses modèles même et surtout lorsqu’il s’agit d’hypostasier sur la virginité de Diane et la fascination qu’elle engendre dans l’imaginaire de l’artiste. Chez lui la mythologie n’a rien de marmoréenne : elle est incarnée. Ce qui l’intéresse restent les chairs roses d’une fraise écrasée sur une peau très blanche à proximité de la toison  plus avenante que celle qui fut d’or.

Attentif, affable, drôle, scrupuleux l’artiste reste dans son art quelqu’un de radical. Il devient dans chaque prise l’artisan d’un bouleversement du et des sens. Il met en présence du corps, du désir mais en le détournant le premier ou plutôt en déroutant notre regard. Léonor Fini ne s’y est pas trompée. Elle fut une des premières à reconnaître et défendre ce travail iconoclaste.  Gette force en effet à regarder d’une manière nouvelle la femme et à considérer différemment l’érotisme. Il la fait glisser du léché vers quelque chose de plus cru sans pour autant basculer dans la pornographie ou à l’inverse vers une sorte de révulsion angoissée des gouffres féminins. Sous la robe noire remontée bien au-dessus des cuisses de sa Laurence surgissent en bijoux sacrés des herbes séchées et des mousses. Elles se mêlent à la pilosité pubienne, symbole farfelu et détourné de Diane en sa chasteté naturelle.

Mais méfions-nous de l’artiste et de ses jeux. A mesure que l’artiste enfonce dans sa méditation, son regard s’enfonce dans un pubis recouvert/découvert, ouvert/caché. Le sexe désiré l’est peut-être parce qu’il est désirant et l’artiste semble lui-même l’exciter en bravant l’interdit de sa chasteté réelle ou supposée. Toutefois, le photographe – et qui plus est le voyeur – ne sont pas à  l’abri de certaines rigueurs du modèle lui-même. Le sexe est bien là, en gros plan et pourtant il est impossible à voir. Il sépare de ce qu’il est, de ce qu’il a de plus secret. Méfions-nous donc autant du modèle que des photographies que celui qui la jouxte de si près porte sur elle en grimant son sexe pour nous en séparer.

Surgit de la sorte la nécessité d’un réenracinement plus profond que celui que l’épreuve (plus que cliché) propose à travers l’objet qu’elle propose. Gette fait du sexe l’icône sur lequel il veille en y mettant la main au besoin. Sexe et image s’anéantissent d’abord l’un l’autre avant qu’une fusion ne s’opère au niveau des racines (de l’orifice comme des mousses qui le caviardent). La fusion opère en un lieu désencombré et recouvert, ouvert et passif.  Le conflit ne peut se résoudre que dans la conflagration  photographique capable d’engendrer de nouveaux signes, de nouvelles structures.

Gette ne propose donc pas l’élimination de la référence du monde visible. Il fait mieux : il le surcharge d’un leurre pour ouvrir à un espace pictural « vierge » propice à ses métamorphoses et à ces noces inespérées.  Emerge une collision retentissante de différents mondes qui, dans le combat (et hors du combat) qu’ils se livrent, sont destinés à créer l’univers nouveau qui s’appelle la photographie. Celle-ci est délivrée de l’ivresse dionysiaque et de quelque aveugle dictée instinctive. Car tout se passe comme si, chez le modèle, sa nature de la déesse imposait sa propre loi. Et ce n’est pas par hasard si l’artiste nomme « gothiques » ses modèles traités de manière très proche d’un tableau vivant (là encore Klossowski n’est pas loin !).

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Jean-Paul Gavard-Perret

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