[Chronique] Sébastien Ecorce, Éloge paradoxal de Donald Trump…

novembre 14, 2020
in Category: chronique, UNE
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[Chronique] Sébastien Ecorce, Éloge paradoxal de Donald Trump…
Alors que Trump s’apprête à entrer dans l’histoire, de nombreuses publications font le point sur sa présidence, comme elles l’ont d’ailleurs fait au cours des quatre dernières années. Beaucoup de ces évaluations sont triviales, turgescentes et fastidieuses. On le vilipende pour son insensibilité, son racisme, sa xénophobie, son arrogance, son inefficacité, son manque d’efficacité, son ignorance. Beaucoup de ceux qui le défendront le feront probablement pour les mêmes raisons : mais à leurs yeux, la xénophobie, le racisme et l’arrogance peuvent être considérés comme des vertus et non comme de profonds défauts moraux.
Tentons quelque évaluation.
Trump avait raison en ce qui concerne les principes essentiels de la politique étrangère : l’Amérique d’abord et un isolationnisme modéré. Pour s’en rendre compte, il faut savoir qu’il n’y a que deux politiques étrangères possibles pour les États-Unis d’Amérique : l’exceptionnalisme américain et l’Amérique d’abord. L’exceptionnalisme américain est, comme son nom l’indique, basé sur une idéologie de prééminence américaine, considérée comme méritée et méritée en raison de la vertu unique de la nouvelle république. La prééminence des États-Unis implique clairement un système hiérarchique structuré de pays où les États-Unis sont au sommet et d’autres pays jouent des rôles subsidiaires et inférieurs. L’objectif ultime non exprimé de cette politique est la maîtrise du monde. Les États-Unis ne sont pas le premier pays à avoir entretenu de tels rêves : de l’Égypte, de Rome, de l’Empire chrétien de Byzance, de l’Empire musulman, de Charlemagne, des Huns, de Tamerlan, de Napoléon, d’Hitler, de l’Empire communiste d’URSS, la liste est longue. Si la réalisation d’un tel empire est très improbable, la route vers cet objectif est pavée de guerres. C’est pourquoi l’idéologie de la « nation indispensable » appelle, presque par définition, selon les termes de Gore Vidal, « des guerres sans fin pour une paix sans fin ». Ce n’est pas par hasard que l’Amérique est en guerre pratiquement ininterrompue depuis quatre-vingts ans.
L’Amérique met d’abord, au moins formellement, tous les pays sur le même plan. Elle fait valoir que l’Amérique suivra ses propres intérêts mais elle n’en attend pas moins des autres. Comme Trump, qui n’est pas un spécialiste des relations internationales, l’a néanmoins déclaré dans son discours aux Nations unies, il s’attendrait à la même politique à l’égard de leurs propres pays, de l’Algérie au Zimbabwe. Ainsi, dans le cadre de la politique « America First », les États-Unis, en raison de leur taille et de leur importance, frapperont toujours plus fort que les autres, mais ils n’auront ni le désir ni l’illusion de devoir diriger les autres ou leur dire comment ils doivent organiser leurs affaires intérieures. Ils se comporteront de manière transactionnelle, ce qui est effectivement une politique qui rend la guerre beaucoup moins probable. Toutefois, s’il paraît clair que les intérêts peuvent être négociés, les idéologies ne le peuvent pas.
Trump a essentiellement suivi cette politique jusqu’à ce que son obsession pour la Chine fasse son apparition après le covid-19, qu’il semblait avoir considéré comme une sorte de stratagème émanant de la Chine pour l’évincer de la présidence. Néanmoins, il n’a pas initié de nouvelles guerres et a pris des mesures, parfois importantes, pour mettre fin à des guerres entamées il y a près de 20 ans et pour lesquelles personne à Washington ne pouvait plus avancer de raison ni la moindre légitimité. Il pouvait en effet s’agir de pures guerres impériales comme celles de « La steppe tartare » où personne au siège de l’empire ne sait même pas où se battent ses soldats et encore moins pourquoi.
Trump a apporté deux contributions marquantes si l’on peut dire à notre connaissance de la politique et des affaires. Il a apporté à la politique toutes les compétences (ou habiletés) qu’il avait exercées pendant près d’un demi-siècle dans les affaires ; ce fut évidemment le triomphe ultime du néolibéralisme. Il considérait les citoyens comme ses employés qu’il pouvait à volonté bousculer et licencier. Il voyait la présidence comme Bezos voit sa propre position chez Amazon : il peut tout faire, sans être contraint par aucune règle ni loi.
Trump a déchiré le voile qui sépare les citoyens, les spectateurs du jeu politique, des dirigeants, et a mis en exergue tout au long de son mandat le marchandage, l’échange de faveurs, l’utilisation du pouvoir public à des fins privées de manière ouverte, en pleine face, à la disposition de tous ceux qui assistaient au spectacle. Alors que dans les administrations passées, les actions illégales et semi-légales telles que recevoir de l’argent de potentats étrangers, passer d’une position lucrative à une autre, tricher sur les impôts se faisaient avec discrétion et un certain décorum, le rideau étant baissé de manière à ce que les spectateurs ne puissent pas voir et participer à la malfaisance, cela se faisait désormais au grand jour. C’est donc grâce à Trump que nous avons pu constater l’immense corruption qui se trouve au cœur du processus politique.
Mais il a fait plus. Lorsqu’il est arrivé à la présidence avec ces manières corrompues, elles étaient certes déjà le fruit de cinquante années de relations d’affaires qui comportaient également toutes sortes de manigances semi-légales ou illégales. Mais cela ne l’a pas arrêté dans son ascension commerciale. Au contraire, elles ont rendu cette ascension possible, lui permettant de mener une brillante carrière dans le monde des affaires de New York, de devenir riche et d’être un invité apprécié dans de nombreuses soirées, notamment en tant que contributeur estimé à des campagnes politiques comme celle menée par Hillary Clinton pour le Sénat américain. Le fait même que son ascension vers le pouvoir dans le monde des affaires n’ait été considéré en aucune façon comme exceptionnelle ou inacceptable montre que tous les autres autour de lui ont utilisé les mêmes moyens pour arriver au sommet.
Ainsi, en connaissant mieux Trump, nous en savons plus sur les moyens utilisés pour réussir dans le riche milieu des affaires de New York, et même du monde entier, puisque Trump et alliés ont conclu des marchés en Écosse, en Russie, au Moyen-Orient, en Chine et ailleurs. Ses proches et les membres de sa famille qui l’ont trahi pour obtenir des contrats de plusieurs millions de dollars ont eu un comportement que Trump lui-même aurait eu (et approuvé), mais qui montre clairement quel genre de normes éthiques prévalent dans ce milieu. Trump nous a donc donné une autre leçon très précieuse : il a montré la pourriture, la corruption et l’impunité qui sont au cœur de nombreuses entreprises puissantes.
Son personnage a révélé la profondeur de la corruption au centre de la politique et au centre des affaires. Ce sont des péchés impardonnables. Les péchés dont on jouit en secret sont acceptables ou négligés ; les péchés dont on fait étalage ne le sont pas. Ceux qui le remplaceront feront de leur mieux, non pas pour changer cela parce que c’est devenu une caractéristique systémique, mais pour le dissimuler. Mais une fois que vous aurez vu la vérité, il sera difficile de revenir en arrière en prétendant que rien ne s’est passé.
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