[Chronique] Sébastien Ecorce, Covid 19 et états d’exception

[Chronique] Sébastien Ecorce, Covid 19 et états d’exception

juillet 16, 2021
in Category: chronique, UNE
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[Chronique] Sébastien Ecorce, Covid 19 et états d’exception

Covid 19 et états d’exception

Sébastien Ecorce, neurobiologiste, enseignant chercheur,
responsable et co-fondateur de la plateforme Neurocytolab,
Salpetrière, Icm, écrivain (poète).

 

La médicalisation du politique

Dans les archives de l’histoire politique, l’année 2020 restera certainement dans les mémoires comme l’annus horribilis de la pandémie de COVID-19 menant à des événements et décisions politiques cruciaux, mais elle ne restera pas dans les mémoires comme une exception. Comme le remarquait Roberto Esposito dans les premiers mois de cette annus horribilis, la modernité elle-même est marquée par l’enchevêtrement indissoluble de la médecine et de la politique, où la politique, à la différence des paradigmes classiques ou médiévaux, se montre de plus en plus vouée à « guérir » ses citoyens et leur santé, et la médecine, d’autre part, est investie de tâches de contrôle social. La médicalisation de la politique et la politisation de la médecine sont ce qui définit la politique moderne en tant que telle, d’où les mesures politiques exceptionnelles adoptées dans le monde pour lutter contre la pandémie qui ne sont pas l’exception mais plutôt le paradigme de la politique dans la modernité. C’est dans la modernité en effet que la métaphore médiévale du « corps politique » prend tout son sens et que la « maladie » devient non seulement la métaphore principale du désordre mais aussi l’objet littéral des actions et des préoccupations du pouvoir ; et une autre métaphore médicale, immunité / immunisation / auto-immunité, peut être utilisée comme modèle de sa dérive pathogène. Que la médicalisation du politique ait colonisé non seulement l’imaginaire politique mais aussi social puis littéraire est illustré par le fait que la menace majeure pour le corps politique est symbolisée par la peste, qui marque aussi bien les discours politiques que les fables politiques puissantes telles que, par exemple La Peste de Camus ou La Cécité de Saramago.

 

Les pandémies comme règle

Mais la maladie COVID-19 ne fait pas non plus exception : comme le nom du virus qui la provoque le révèle clairement, le SARS-CoV-2 est le deuxième coronavirus du syndrome respiratoire aigu sévère, après le premier (SARS-CoV ou SARS-1) qui a causé l’épidémie de 2002-2004. Bien qu’elle ait d’abord été également décrite comme « un événement d’un siècle », la pandémie de COVID-19 n’est en réalité, comme l’a justement fait remarquer Badiou, « rien de nouveau sous le soleil contemporain » et appartient plutôt à la « nouvelle normalité » qui caractérise notre modernité tardive. Une époque dans laquelle, en raison d’un certain nombre de facteurs sociaux, politiques, économiques et environnementaux, de nouveaux virus ont trouvé et trouveront les conditions idéales pour « sauter » des animaux non humains aux animaux humains et connaître une propagation planétaire. De l’épidémie de sida à Ebola, de la grippe aviaire à la peste porcine, du virus West Nile au virus Nipah et jusqu’à la pandémie H1N1 (une grippe porcine), les maladies virales ont marqué et marqueront notre époque et sa politique, de sorte que la question n’est pas de savoir si une nouvelle pandémie éclatera, mais plutôt quand. Et, comme l’a déclaré, entre autres, Osterholm, nommé en novembre 2020 membre du conseil consultatif COVID-19 de Joe Biden, la prochaine pandémie sera pire. Selon une métaphore animale appropriée (étant donné son caractère zoonotique), COVID-19 n’est pas un « cygne noir », un événement très rare et difficile à prévoir (comme par exemple la grippe espagnole de 1918), mais plutôt un « rhinocéros gris », une menace hautement probable mais négligée qui produira un impact massif, ou, peut-être mieux (c’est-à-dire pire), un « canari jaune » (de la fameuse expression « un canari dans une mine de charbon »), un événement qui met en quelque sorte en garde contre une série de dangers encore plus significatifs à venir.

 

Trois modèles : lèpre, peste, variole

Il a été noté que la pandémie de COVID-19 est un rêve biopolitique (ou plutôt un cauchemar) devenu réalité – et en fait, les analyses poignantes de Foucault sur l’évolution entrelacée de la politique et de la médecine dans la modernité ont été évoquées à son amorce. Pour décrire les mutations du pouvoir entre le XVIIe et le XVIIIe siècle, Foucault a utilisé de façon révélatrice trois modèles fondés précisément sur les maladies infectieuses. Dans la conférence du 15 janvier 1975 de son cours 1974-1975 au Collège de France intitulé « Anormal » et, plus en profondeur, en ouverture du chapitre sur le panoptisme de Discipliner et Punir (publié un mois plus tard, en février 1975), il oppose ainsi la prise en charge de la lèpre et celle de la peste comme deux modalités distinctes de contrôle et d’organisation : alors que la première exigeait l’exclusion du lépreux de la société, la seconde instaure un dispositif disciplinaire qui mobilise la société dans sa totalité. Les deux modèles, a noté Foucault, sont très anciens, mais dans un sens, à l’aube de la modernité, le modèle de la peste s’est répandu. Selon la distinction désormais célèbre de Foucault, l’exclusion des lépreux (pouvoir prémoderne) est un modèle négatif basé sur le rejet et l’interdit et la poursuite du rêve de purifier la communauté ; le modèle de la peste (moderne, pouvoir disciplinaire), au contraire, est une technologie positive du pouvoir exigeant l’inclusion des infectés au sein d’un espace minutieusement analysé, cloisonné, organisé et contrôlé, avec la production concomitante d’un savoir approprié. L’exclusion est remplacée par la quarantaine, le rejet par l’inclusion et l’attribution à chaque individu d’un nom propre et d’une place propre. Le but n’est plus celui de purifier la communauté mais plutôt de produire une population en bonne santé. Ce modèle contredit le « rêve littéraire de la peste », toutes ces fables politiques (comme celles de Camus ou de Saramago) qui assimilent la peste à des explosions orgiaques d’anarchie, de désordre et de confusion ; le « rêve politique de la peste » est au contraire précisément le contraire, « le moment merveilleux où le pouvoir politique s’exerce pleinement. La peste est le moment où le partitionnement et la subdivision spatiale (quadrillage) d’une population est poussée à son point extrême ». En vérité, la peste est combattue par l’ordre, la discipline, la hiérarchie, le contrôle : « La ville pestiférée […] est l’utopie de la ville parfaitement gouvernée. »

Les deux modèles se confondent en quelque sorte au XIXe siècle selon un double mode qui combine la division binaire du modèle lépreux avec la distribution disciplinaire du modèle pestiféré.  Cependant, trois ans plus tard, Foucault a ajouté un troisième modèle lors de son cours magistral de 1977-1978 intitulé « Sécurité, territoire, population ». Lors de la première conférence du 11 janvier 1978 (puis tout au long du cours), il identifia le modèle de la variole ou de l’inoculation comme un modèle centré ni sur l’exclusion ni sur la quarantaine, mais plutôt sur l’épidémie et la campagne médicale tentant de l’arrêter. Avec ce troisième modèle, il ne s’agit plus d’établir la pureté ou la discipline, mais plutôt la sécurité et la gestion du risque ; non plus celui de fixer et de délimiter le territoire, mais plutôt celui de « laisser s’opérer les circulations, […] de les contrôler, de passer au crible le bon et le mauvais, de faire en sorte que les choses soient toujours en mouvement, en mouvement constant, en allant continuellement d’un point vers un autre, mais de telle manière que les dangers inhérents à cette circulation soient annulés. Les technologies de sécurité répondent aux risques sans prétendre les éliminer mais visent plutôt à les contenir et à les réguler.

Ces trois modèles (ou leurs variantes et combinaisons) peuvent être facilement appliqués, à différentes gradations, à différentes phases et/ou différents lieux de la gestion de la pandémie de COVID-19, de la stricte discipline de l’approche chinoise ou italienne au laissez-faire néolibéral de (certains moments de) l’approche britannique ou américaine et jusqu’au rêve « sécuritaire » d’une vaccination planétaire, avec toujours en arrière-plan le modèle de la lèpre (l’isolement total des infectés).

Démocratie et exception

C’est pourtant un autre paradigme qui a surtout été évoqué pour illustrer la réponse politique à la pandémie : celui de l’état d’exception. Comme le prévoient la plupart des constitutions démocratiques (et évidemment implicitement dans d’autres formes de gouvernement), des circonstances exceptionnelles telles que la pandémie de COVID-19 appellent des mesures exceptionnelles et des pouvoirs exceptionnels qui peuvent temporairement suspendre la loi. D’un point de vue juridique, la pandémie peut être comparée à des menaces terroristes, des catastrophes naturelles ou des crises migratoires, qui appellent des réponses exceptionnelles et l’extension des pouvoirs exécutifs. Et de fait, la rhétorique de la « guerre au virus », adoptée par de nombreux chefs d’État (ex : Donald Trump aux USA et Emmanuel Macron en France), est étonnamment identique à celle de la « guerre contre le terrorisme » qui a marqué les deux premières décennies du XXIe siècle – et conduit aux mêmes menaces pour la démocratie elle-même : les pouvoirs d’exception ont une tendance inquiétante à devenir permanents et les moyens « normaux » du gouvernement ; de plus, les gouvernements ont tendance à armer la crise et à s’en servir comme prétexte pour adopter des mesures répressives sans rapport avec la crise elle-même. Des exemples de première instance sont l’US Patriot Act, promulgué après les attentats du 11 septembre, prolongé quatre fois entre 2001 et 2019 et partiellement encore en vigueur, ou l’état d’urgence décrété en France après les attentats de Paris de 2015, renouvelé six fois pour être finalement incorporé dans la loi en 2017. Douze exemples actuels de deuxième instance sont Donald Trump utilisant la pandémie pour déréglementer les règles climatiques et suspendre les réglementations environnementales aux États-Unis ; les technologies de surveillance de masse « exceptionnellement » adoptées en Chine, en Israël et ailleurs pour « arrêter le virus » (pour lequel même un nouveau terme, inspiré de Foucault, « coronopticon » a été inventé) ; ou Viktor Orbán faisant déclarer au parlement des pouvoirs exécutifs indéfinis pour son bureau en Hongrie. Ces risques pour la démocratie sont la principale et vive préoccupation de l’intelligentsia libérale-démocratique inquiète du monde entier, au point que le secrétaire général de l’ONU, António Guterres, a averti en avril 2020 que la crise du COVID-19 était « en train de devenir rapidement une violation des droits humains ». Ce qui inquiète (à juste titre) l’esprit libéral-démocrate, c’est que les limitations sans précédent des libertés individuelles adoptées pour lutter contre la pandémie seront abusées, outrepassées puis, d’une certaine manière et dans une certaine mesure, seront normalisées et resteront en place après la crise, transformant (c’est-à-dire mutilant) la vie démocratique. En un mot, que l’exception devienne la règle.

Visuels en arrière-plan et ci-dessus : © Shoniba studio

Le philosophe contemporain qui a centré sa proposition politico-philosophique sur une critique poignante de l’état d’exception est Giorgio Agamben, et en 2020 il a en effet attaqué avec virulence les mesures exceptionnelles adoptées dans le monde pour lutter contre la pandémie. Cependant, sa critique de l’état d’exception ne coïncide pas avec la position libérale-démocrate et, d’autre part, elle est plus complexe et articulée qu’une simple intolérance anarcho-libertaire des règles et limitations, dont il a été accusé. Sa position sur la pandémie doit ainsi être toujours contextualisée et nuancée au sein de sa trajectoire philosophique. La critique de l’état d’exception est ce qui soutient le projet de vingt ans qui a fait la renommée d’Agamben, Homo Sacer. Dans le tout premier volume de la série, à travers une lecture critique de la théorie de la souveraineté de Carl Schmitt, l’exception est identifiée comme la « structure juridico-politique originaire » : en un mot, l’exception est la manière dont le droit revendique le pouvoir sur l’existant (et en particulier sur la vie) en incluant l’existant en soi comme extérieur à lui. Cette figure fondamentale est ce qu’Agamben appelle « l’exclusion inclusive » par laquelle le droit crée une zone d’indistinction entre l’extérieur et l’intérieur et sécurise ainsi son emprise sur la vie. Cela signifie que la loi (toute loi, puisque pour Agamben, loi signifie normativité en tant que telle) fonctionne toujours comme un état d’exception. Ce qui se passe dans la modernité, c’est que, selon un principe tiré des thèses de Walter Benjamin de 1940, « Sur le concept d’histoire », l’exception devient la règle et l’état d’exception devient l’outil coutumier du gouvernement, dans les régimes totalitaires comme dans les systèmes politiques démocratiques.

Cette thèse est développée et affinée dans un volume ultérieur de la série, intitulé précisément État d’exception. Tout en rappelant que l’état d’exception est « la structure originelle dans laquelle le droit englobe les êtres vivants par sa propre suspension » et est donc le « paradigme constitutif de l’ordre juridique », Agamben retrace également ici une brève histoire de cette institution juridique dans la modernité, identifiant sa première instance dans l’état de siège introduit dans les législations modernes par la Révolution française. Cela signifie, surtout, que l’état d’exception moderne est « une création de la tradition démocrate-révolutionnaire et non de la tradition absolutiste » (comme sa théorisation par l’« antidémocratique » Carl Schmitt aurait pu le suggérer). C’est-à-dire que l’état d’exception n’est pas un retour des institutions démocratiques à un stade absolutiste, mais plutôt la structure la plus intime au cœur et à la vérité de l’État moderne, qu’il soit démocratique, absolutiste ou totalitaire. Depuis la Première Guerre mondiale, ce mécanisme est devenu sensiblement le moyen coutumier de gouvernement et, comme Agamben l’écrivait déjà en 2003, « a aujourd’hui atteint son déploiement mondial maximal », érodant les démocraties bourgeoises et l’État de droit de l’intérieur. Bien que certainement sans précédent et extrême, d’un point de vue agambenien, les états d’exception d’aujourd’hui dans la lutte contre le COVID-19 sont parfaitement internes à la logique de l’État moderne : en fin de compte, ils ne sont « rien de nouveau sous le soleil contemporain ».

 

La sécurité du peuple est la loi suprême

La principale critique d’Agamben contre les mesures exceptionnelles actuelles est qu’elles tournent entièrement autour de ce qu’il nomme la « religion de la santé » qui structure l’action politique autour de la simple préservation de la « vie nue ».  Tous les objectifs politiques ont été subordonnés à la simple survie biologique. Ce n’est cependant pas seulement la définition même de la biopolitique – que Foucault a caractérisée dans les années 1970 comme l’accent politique particulièrement moderne sur la préservation de la vie et Agamben a fait la pierre angulaire de sa propre philosophie politique – mais c’est aussi le principe structurant l’État moderne en tant que tel. Encore une fois, rien de nouveau, comme nous l’apprend Agamben lui-même.

Dans Stasis, publié pour la première fois en 2015 mais composé de deux conférences remaniées prononcées à l’université de Princeton en 2001, Agamben propose le paradigme de cette structure à travers une lecture du célèbre frontispice du Léviathan de Hobbes. Un détail important est fondamental dans ce tableau : la ville au premier plan, dominée par la figure gigantesque du souverain, est vide à l’exception de quelques gardes armés et de deux personnages curieux devant l’église portant un étrange masque à bec. Francesca Falk a souligné qu’il s’agissait du masque porté par les médecins de la peste, ce qui la conduit (ainsi qu’Agamben) à identifier et à souligner le « lien entre épidémie, santé et souveraineté ». La citoyenneté (absente) n’est représentée que par « les gardiens qui surveillent son obéissance et les médecins qui la soignent » et est ainsi assimilée à des pestiférés : « la condition des sujets du Léviathan », écrit Agamben, « peut être en quelque sorte comparable à celui des malades » ; c’est-à-dire, glose Toscano, l’État moderne est, en tant que tel, un « État de peste »  (ou peut-être un « État de la variole », selon le troisième modèle de Foucault ; mais en tout cas un « État épidémique »), qui voit sa tâche comme celle de gouverner une multitude dépolitisée à une époque définie par les épidémies. Sa devise est une maxime tirée du De Legibus de Cicéron (III, 1, 3), Salus populi suprema lex, la sécurité du peuple est la loi suprême, citée par Hobbes dans De Cive et Leviathan mais aussi par Locke comme épigraphe de son Second Traité sur le Gouvernement et par Spinoza dans son Traité Théologico-Politique.

 

Le Trauerspiel du souverain indécis

Les interventions d’Agamben sur la pandémie ont été durement censurées et accusées de paranoïa, de déni, de conspiration et de simple délire, mais l’accusation la plus dure est celle d’être détaché de la réalité et exilé dans la tour d’ivoire de ses constructions théoriques.  Après tout, il a été noté, les pouvoirs souverains du monde entier (qu’ils soient démocratiques ou non) ont été révélés par la pandémie comme incompétents, non préparés, indécis et confus, et l’état d’exception n’a finalement pas conduit à des « dictatures sanitaires » mais plutôt à la concession que tous les souverains nationaux et internationaux sont faibles. De nombreux gouvernements, en outre, ont été extrêmement réticents à déclarer l’état d’exception par crainte de nuire à l’économie, et le tableau d’ensemble n’est pas celui de la discipline et du pouvoir mais plutôt du chaos absolu.

Ici, le « modèle de la variole » néolibéral de Foucault peut utilement compléter et complexifier la critique de l’état d’exception. Mais un autre paradigme est pertinent, le portrait du souverain baroque dans l’analyse de Walter Benjamin du drame baroque allemand ou Trauerspiel. En citant Schmitt dans le livre Trauerspiel, Benjamin a implicitement répondu à sa théorie de la souveraineté non seulement en inversant ses termes, selon lesquels la fonction la plus importante du souverain baroque devenait pour lui non pas celle de déclarer l’état d’exception mais au contraire celle de « l’éviter «  (comme l’ont fait de nombreux souverains contemporains confrontés à la pandémie), mais aussi en montrant l’indécision intrinsèque du souverain : « Le prince, qui est chargé de prendre la décision de proclamer l’état d’urgence, révèle, à la première occasion, qu’il est presque incapable de prendre une décision. Il ne s’agit cependant pas d’une question de compétence et d’habileté (comme si « un meilleur souverain aurait fait un meilleur travail… »), mais plutôt un trait intrinsèque et essentiel de la souveraineté en tant que telle. Citant à nouveau la « Critique de la violence » de Benjamin de 1921, Agamben soutient que ce trait dévoile « l’ultime indécidabilité de tous les problèmes juridiques » et donc la vacuité de toute théorie de la souveraineté. Le souverain en tant que tel est condamné à l’incompétence et à l’indécision et l’« État épidémique » ne peut que faillir à sa tâche déterminante de préserver la vie de ses citoyens.

 

La résistance

La conclusion inévitable de la critique d’Agamben de l’état d’exception est qu’il ne s’agit pas de ramener l’état d’exception dans ses limites spatialement et temporellement définies pour réaffirmer ensuite la primauté d’une norme et de droits qui s’y fondent eux-mêmes en dernier ressort. De l’état d’exception réel dans lequel nous vivons, il n’est pas possible de revenir à l’état de droit.

Cette position est très différente de la position libérale-démocratique car elle n’appelle pas au rétablissement de « checks and balances » démocratiques mais plutôt à l’arrêt même de toute la machine de l’État moderne. La sortie de notre situation actuelle consiste, pour Agamben, en rien de moins que le dépassement messianique de la politique occidentale telle que nous la connaissons. Dans ses interventions sur la pandémie, Agamben semble presque déplorer la fin peu glorieuse des démocraties bourgeoises qu’il a construit sa carrière en critiquant, mais son appel actuel à « de nouvelles formes de résistance » doit cependant être lu avec toute sobriété (malgré et contre ses accents apocalyptiques actuels) dans le contexte de sa critique philosophique de l’état d’exception. En quoi consistera cette résistance ne se définit ni ne se décrit a priori, mais s’il y a bien une chose que la pandémie de 2020 nous a apprise, c’est que cette nouvelle stratégie politique ne se réduit pas à un trop commun et essentiellement anarcho-libertaire, ni ne se concentre sur les libertés individuelles (à laquelle revient aussi le projet d’Agamben) mais devra être un projet collectif positif vers le bien commun.

Sébastien Ecorce, neurobiologiste, enseignant chercheur, responsable et co-fondateur de la plateforme Neurocytolab, Salpetrière, Icm, écrivain (poète).

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1 comment

  1. sylvie CAUWET
    Reply

    Un grand merci pour vos commentaires. Ils éclairent bien la situation difficile que nous traversons et qui ne semble pas s’achever. Le Pouvoir le souhaite-til, d’ailleurs ?
    Respectueusement

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