[Chronique] Olivier Apert, Le point de voir, par CHRISTOPHE STOLOWICKI

[Chronique] Olivier Apert, Le point de voir, par CHRISTOPHE STOLOWICKI

décembre 21, 2021
in Category: chronique, livres reçus, UNE
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[Chronique] Olivier Apert, Le point de voir, par CHRISTOPHE STOLOWICKI

Olivier APERT, Le Point de voir, dessin de couverture d’Ivan Messac, éditions Lanskine, novembre 2021, 96 pages, 15€, ISBN : 978-2-35963-060-2.

 

Il est des points de vue mais il n’est qu’un point de voir, non d’avoir mais d’être – un point rouge sur la rétine. Le point aveugle dans l’angle mort-né. L’appoint de gaîté qui fait cruellement défaut aux temps présents. L’indéfectible et l’improbable.

Autrement nutritif que tout ce qui trépasse par la rétine et l’ouïe. Aussi sériel qu’un ogre du tout-à-l’égout (toute halle est goût). Les points d’exclamation allant par deux (un, trois obsolètes depuis lurette), les deux points par fratries. Les parenthèses retournées, ouvertes sur l’indéfini moteur. La geste – la gesticulation – aussi variée de ponctuation (pont tue action) que le permettent les caractères swinguant sur le clavier.

D’emblée alternent italiques de « jour » (« au jardin des Tuileries, Lady B. et le docteur D. se saluèrent autour d’une barbe à papa / rose et noire : les commodités tendancieusement vulgaires du Meurice* ») et romaines du rêve nocturne (« un Yorkshire déchiré vivant par des crabes japonais – roses. Les morceaux recrachés hurlent »), d’inopinées grasses du « soir » défoliant le deux temps annoncé : « “Capone ! adopte-moi”, ricanent les yeux bleus de mer perdue quand sonnent les cloches fêlées du paradis enfin inaccessible : : alors l’homme-seul-avec-lui-même hésite : : : / entre balles tuant la vague &  –  seulE  ».

« *Meurice : hôtel » : les nombreux astérisques renvoyant à proximité plutôt qu’en bas de page.

Ce qui mène la danse, l’intellect tapi se dévoilant par à-coups (« Dieu* : vocable qu’ils emploient pour désigner / ce qui par peur les attend : le Néant // les dieux** : les mots que nous employons pour nommer / ce qui par ivresse nous enchante : les vivants // *promis ! Je n’y reviendrai pas / **promis ? J’y reviendrai »), est le tempo visuel endiablé, penseur plutôt qu’émotif, pesées toutes options à un trébuchet de peaux de banane. Mais cette première lecture est trompeuse. Balancés rêve sur rêve violents, délétères, animaliers cannibales, de non-dit touffu, bris de vitre en éclats capricants, tapageurs – une pudeur, celle du récurrent « homme-seul-avec-lui-même », laisse filtrer l’émotion, cela en anglais seulement : « Sweet september/I remember / Eyes of august/Deepest blue / While the lazy/Town was sleeping  / strangest love/i ever knew // […] You’re my life love/fascination / You’re the only one/who left me wanting more / […] Evening waves that/turned in twilight / caught for ever/those little blond plaits ». Une pure nostalgie fend l’armure.

Depuis Si et seulement Si, paru en 2018, la connaissance poétique de soi a bondi d’un pas glissé, chaussé de sept lieux, botté en touche, d’axe principal Paris New-York. Celui d’un traducteur de grand fonds (inoubliables Poésies complètes de Mina Loy, 2017) omniprésent dans le poète.

Outre bien des trajets et destinations connexes, en autobus où « IL EST INTERDIT DE PARLER AU MACHINISTE », en « 404 break de non-couleur noire [dont] les pauvres remplissent les banquettes skaï lie-de-vin », dans « l’ultime Orient-Express / (Paris-Budapest-Keleti Pu) », en « cargo / DAL REUNION […] Marseille-Livourne-Canal de Suez-Port Victoria (Seychelles) », le principal vecteur d’évasion demeurant toutefois ce « BOEING 727 (1832 exemplaires) [qui] en 45 mn / convole (ou presque) à l’angle fourteen street/fifth avenue […] tandis que de l’autre côté du Brooklyn Bridge les écuries / du fist-fucking suspendent leurs crocs d’ex-bouchers rouillés / sous l’urine SM ».

Réinventé le surréalisme – l’historique, désormais géographique, miné d’espace-temps.  Balancés au panier les oukases d’André Breton.

Poèmes incrémentiels. Apories de même tabac. Aphorismes forés dans le même tabac. Baudelaire, Oscar Wilde référents d’honneur. Antépénultième, avant-dernier, un bref essai sur la traduction dérive en malbouffe verbale, l’autre décode du point de voir l’appoint d’entendre qui furieusement montait, et de musique en poésie constate notre tardive jeunesse. Une coda de « jeune-vieux cabotin » plaque sur l’éther mité sa troisième personne d’un singulier préservé de toutes pelures d’aile : « il bêchait la mer & / la tristesse joyeuse le regardait indifféremment / bêcher la mer tandis que la vague / hurlait qu’elle avait mal ». Celle (voir supra) qu’il avait déjà tuée.

Le « COMPLEXE DE JOCASTE » courant de livre en livre n’est pas un vain syntagme.

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