[Revues] Libr-kaléidoscope de fin d’année, par Jean-Claude Pinson et Fabrice Thumerel

décembre 26, 2022
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[Revues] Libr-kaléidoscope de fin d’année, par Jean-Claude Pinson et Fabrice Thumerel

Il ne s’agit pas ici de recenser en bonne et due forme les dernières parutions revuistes, mais de proposer en cette fin d’années divers carottages qui donnent à goûter quelques terroirs bien spécifiques.

 

Critique, éditions de Minuit, n° 903-904, été 2022, 176 pages, 14 €. [Commander]

Comme toujours, Critique a le grand mérite d’aborder sous l’angle problématique le plus vif et le mieux informé les questions dont traite la revue.

La notion de Nature, aussi paradoxal que cela puisse paraître, « semble aujourd’hui frappée de proscription ». Pourtant elle est omniprésente mais sous forme « spectrale ».

Pour qui le concept a beaucoup à voir avec l’idée de matière, bénéfique sera tout particulièrement la lecture de l’entretien que donne à la revue l’historienne et philosophe des sciences Bernadette Bensaude-Vincent (spécialiste de chimie, elle insiste notamment sur l’importance qu’il y a « à favoriser et multiplier les petits récits, les tableaux locaux, qui cassent la continuité du grand récit commandé par le temps de la mécanique classique »).

On lira aussi avec intérêt le bel article critique (une critique sévère) que Christian Milovanoff consacre au film d’Artavazd Pelechian intitulé « La Nature ». /JCP/

 

Esprit, n° 492 : « La Crise de l’asile européen », décembre 2022, 160 pages, 20 €. [Commander]

Esprit n’en est certes pas dépourvu, même involontairement, qui, dans son numéro de décembre 2022, fait coexister en son sommaire deux sujets brûlants : mourir dans la dignité – question d’actualité française – et mourir pour échapper à l’indignité – sort tragique des migrants. (Dans un Ordre mondial censé être régi par les Droits de l’Homme, la dignité serait-elle devenue l’apanage des seuls Occidentaux ?).

Côté littérature, retenons la chronique de Benjamin Caraco, « Actualité de Georges Perec » (p. 126-132)… Et l’article de Jean-Claude pinson, « Michon marxiste ? » (p. 97-108) : avec Pierre Michon (né en 1945), Jean-Claude Pinson (né en 1947) appartient à la génération d’intellectuels qui eut à choisir entre art et politique – et qui, finalement, contrairement à Marx qui a effectué le chemin inverse, accorda la préférence à la première activité. Bien que Michon ait fait prévaloir le récit légendaire sur le récit révolutionnaire, le critique et écrivain voit dans Les Onze un récit marxien et dans l’œuvre une « imprégnation spectrale du marxisme ». /FT/

 

Europe, n° 1121-1122 : « Georges Bataille », septembre-octobre 2022, 384 pages, 20 €. [Commander]

Un passionnant numéro d’EUROPE sur Bataille.

À la veille des « Rencontres de Chaminadour » (Guéret), j’y relève tout particulièrement la remarque suivante dans l’article de Yannick Haenel (« La dernière pensée : Nemi ») : « On peut soutenir que si Nietzsche fut pour Georges Bataille sa ‘compagnie sur terre’, Alexandre Kojève en fut, sa vie durant, l’interlocuteur contradictoire, l’ ‘alter ego’ – le double inversé –, celui qui, sur l’autre rive du fleuve-Hegel, force Bataille à définir sa position jusqu’à l’extrême de lui-même ». /JCP/

 

Po&sie, Belin, n° 179-180, été 2022, 276 pages, 30 €. [Commander]

La disparition de Michel Deguy (1930-2022) marque-t-elle la fin de la revue ? Non, bien au contraire. Avec à sa tête Martin Rueff, dont l’expérience est reconnue puisque ces dernières années il était rédacteur en chef aux côtés de Michel Deguy, sans pour autant se métamorphoser en une jeune revue qui présente des expériences nouvelles, Po&sie semble retrouver une certaine fraîcheur et s’ouvrir à « l’extrême contemporain » d’aujourd’hui : en témoigne le volumineux dossier orchestré par Pierre Vinclair, « L’agencement des mobiles (Manifestes) », qui, grâce à sa quarantaine d’invités, offre un aperçu sur un large éventail de pratiques actuelles, y compris sur celles qui sont éloignées de sa ligne éditoriale (le nouveau groupe TXT, BoXon, Frank Smith et ses « guérillas poétiques »). /FT/

 

► Réparations, Sahus Sahus éditions, été 2022, 192 pages, 10 €.

De sous-titre du numéro 3 de la revue La Correction, coordonnée par Alain Jugnon et publiée par le Dernier Télégramme, « Réparations » devient le nom d’une nouvelle revue à part entière, coordonnée par Marc Perrin – que les Libr-lecteurs connaissent bien –, qui reprend les mêmes travaux mais augmentés de quelques textes, dont un édito.

Ce qui a de quoi rebuter certains lecteurs fait précisément le charme de ce numéro zéro de Réparations que l’on pourra désormais lire intégralement sur son site : son côté foutraque et brouillon. Le fil directeur en est une « triple attention » : « attention à la relation ; attention à ce que l’autre, les autres, dit ou disent de l’expérience qu’ielles vivent ; attention à ce que je vis, depuis la place que j’occupe » (édito, p. 29). Rien d’étonnant, vu le titre arboré et le rôle même de toute véritable revue, à ce que soit abordé un sujet brûlant d’actualité, au risque de tomber dans une nouvelle doxa par manque de recul : il est ainsi question de la littérature des réparations (éthique du care) au travers de témoignages plus ou moins théorisés et aussi, fort heureusement, du texte satirique/polémique d’Alix, qui dénonce l’annexion néo-libérale du care (savoir-faire et altruisme) par le rentable Développement personnel (savoir et égoïsme). /FT/

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Fabrice Thumerel

Critique et chercheur international spécialisé dans le contemporain (littérature et sciences humaines).

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