[Chronique] Laurent Fourcaut, N’étaient messieurs les bêtes. Sonnets désobligeants, par Bruno Fern

[Chronique] Laurent Fourcaut, N’étaient messieurs les bêtes. Sonnets désobligeants, par Bruno Fern

septembre 17, 2023
in Category: chronique, livres reçus, UNE
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[Chronique] Laurent Fourcaut, N’étaient messieurs les bêtes. Sonnets désobligeants, par Bruno Fern

Laurent Fourcaut, N’étaient messieurs les bêtes. Sonnets désobligeants, éditions Le Merle Moqueur, septembre 2023, 192 pages, 14 €.

Par ailleurs spécialiste de l’œuvre d’Apollinaire (ici souvent évoqué), Fourcade, Giono, Simenon et Prigent, Laurent Fourcaut consacre presque exclusivement son écriture poétique à la pratique du sonnet. Le choix de cette structure lui vaut de respecter les contraintes qui lui sont associées (à part, de temps à autre, l’excroissance que constitue un quinzième vers d’une à trois syllabes), même si ce respect s’effectue parfois via quelques licences acrobatiques. Ainsi, pour assurer la rime, l’auteur n’hésite pas à couper un mot, y compris non syllabiquement, donc à l’imprononçable : « rêvé le tour de taille augmente jusqu’au cla / sh », à tronquer (« cosmic ») ou à intervertir (« les prochains coups de sougri »). De plus, sans recourir à la ponctuation, il s’autorise télescopages et contorsions qui pourraient passer pour de la maladresse s’ils ne relevaient pas d’une claire intention : « Réglons donc son compte à la narrativité / repartons de zéro : depuis la cavité / d’où naît coagulant un corps peu syntaxique ». Tout ce travail minutieux ayant déjà été exposé dans les détails par Jean Renaud et François Huglo, j’insisterai sur le fait que la forme créée coïncide alors aussi bien avec un contenant, le sonnet et ses règles strictes, qu’avec ce qui se tient au « dehors », terme cher à Laurent Fourcaut (son dernier ouvrage s’intitule Dedans Dehors), c’est-à-dire avec un réel par définition incontenable et dont les traces seraient justement les multiples débordements textuels. On pourrait rajouter comme participant à cette profusion hétérogène – la fameuse « roseraie » fourcadienne qu’est le monde – le nombre élevé de références plus ou moins explicites, depuis Homère, Bach et Van Gogh jusqu’à Michon, Coltrane et le capitaine Haddock, ainsi que l’ouverture lexicale qui brasse tous les registres, du savant au populo.

Avec un sonnet apparemment quotidien, l’ensemble prend une allure de journal extime où règne la diversité qui fait la trame d’une vie : lieux parcourus, soit régulièrement (Paris, Cotentin), soit exceptionnellement (Suisse, Belgique, Tunisie) ; époques (l’actuelle, le plus souvent critiquée, versus l’Algérie de la jeunesse, source de nostalgie) ; activités qui vont du bricolage aux échanges universitaires en passant par la fréquentation des bars et restaurants. Une attention particulière est portée aux phénomènes naturels, de plus en plus perturbés par l’espèce humaine, attention qui n’est guère partagée par la plupart des contemporains déconnectés de ladite nature et que Laurent Fourcaut, en « lama fâché », ne ménage pas.

En effet, il ne faudrait pas oublier ni le fait que ces sonnets sont qualifiés de « désobligeants » ni le titre du recueil (début d’une phrase de Rabelais inversant un dicton : « Si n’étaient messieurs les clercs, nous vivrions comme bêtes ») car l’auteur s’oppose avec vigueur au mode de vie de l’Occidental lambda qui nous conduit droit dans le mur. Tout au long du livre sont épinglés les comportements du surconsommateur courant après « le must de la technologie / fabriqué par des esclaves », du bavardage universel 24 h/24 aux objectifs managério-financiers : « en avant la course à l’argent pour les premiers / de sac et de corde ». Au passage, il n’épargne pas davantage ni certains de ses collègues, écrivains et / ou universitaires : « qu’ils n’aient pas à ça non cette frimousse exsangue / de l’écriture qui montrait sa blanche langue » ou bien « Simenon préférait le bistro au colloque / vous pareil c’est là qu’on touche du doigt le vrai », ni lui-même : « – pauvre intello qui demande à la tourbe au vin / un sauf-conduit pour se traîner jusqu’au ravin / où s’éclate quiconque a su répudier l’ange ».

Dans de telles circonstances reste la tentative d’instaurer une relation différente à ce qui nous entoure, dans laquelle se mêleraient étroitement Éros et Thanatos (« r le Vey est un pubis à l’envers sur le large », «  la végétation croît touffe de la daronne / on s’y perd homoncule voué à la mort »), loin de toute écopoéthique qui prétend rétablir une harmonie originelle de la poésie avec une nature idéalisée. Ce n’est pas parce qu’il dénonce avec raison un anthropocène devenu mortifère à grande échelle que l’auteur ignore à quel point l’être humain, même s’il est plus dépendant des choses et des bêtes qu’il le croit trop souvent, lui demeure foncièrement étranger puisque contraint d’emprunter les voies déformantes du langage. D’ailleurs Laurent Fourcaut n’est pas du genre à vouloir se bercer d’illusions : « Le monde se contrefout de votre faiblesse / il est noir puis étincelant cela vous blesse » C’est pourquoi, comme quelques autres (cf. l’analyse lucide d’Olivier Penot-Lacassagne sur la notion d’écocritique), il tente à sa façon d’inventer des formes qui soient à l’image de cette expérience peu ou prou aveuglante, tenus que nous sommes de faire face dans toutes ses dimensions à une réalité dont la rugosité est bien connue, l’écriture étant l’un des moyens d’y parvenir : « Vrai qu’une ouverture étroite sur la nature / rend le muet dehors beaucoup moins inhumain »

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