[Chronique] François Crosnier, Portrait d’un autoportrait

octobre 23, 2023
in Category: chronique, livres reçus, UNE
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[Chronique] François Crosnier, Portrait d’un autoportrait

Jacques CAUDA, Florbelle, illustrations de l’auteur, éditions Tinbad, octobre 2023, 93 pages, 17 €, ISBN : 979-10-96415-60-1.

Suivez bien exactement tous les souvenirs des feuilles grises

Sade, Notes pour les Journées de Florbelle

 

Florbelle sera mon autoportrait, affirme l’auteur. De fait, à l’issue de la lecture des 20 journées (plus un post-scriptum) qui composent ce livre, « Jacques Cauda », au nom emprunté à Leiris, nous est devenu étonnamment proche :

Dans une ville, Charonne, où se dresse un château, Silling : c’est mon corps, le corps du livre que vous avez là devant vous.

Entre Silling, le lieu des 120 Journées de Sodome, et le XXe arrondissement où s’achève le livre, un corps, donc. « 105 kgs pour 185 cm, yeux bruns, cheveux châtains ». Ruines : « Fumant trois paquets de cigarettes par jour et beaucoup d’autres la nuit ; mes artères bouchées ont mangé les têtes de mes deux fémurs, béquilles, prothèse de hanche, canne. (…) Je passe ma vie dans les labos ».

Inscrit dans une géographie révolutionnaire. « J’habite (mon atelier est) à deux pas du mur des Fédérés ». « Fouquier-Tinville est un p’tit gars de Ménilmontant ».

Avec une histoire, violente. « Enfant, j’étais Justine. J’étais battu ». Chien : « … à ses yeux bovins, j’étais un étron canin » (il parle de sa mère, La Chie).

Placé indéfectiblement sous le signe de Sade : « Entré au château de Silling à l’âge de 17 ans, je n’en suis jamais sorti ».

Florbelle (nom du château où se situe la dernière œuvre du marquis, dont le manuscrit a été brûlé par son fils) s’ingénie donc à multiplier les signes de cette troublante possession par Donatien (j’y ai tout de suite reconnu mon chez moi), signes matériels ou résidant dans les pratiques d’amplification (« surfiguration ») qui marquent l’écriture de Sade comme la peinture de Cauda, « qui prend appui sur l’image du réel, autrement dit sur le déjà-vu ».

Il en résulte un livre délicieux (« La neige a fondu. Nous sommes fin janvier 2021. La Covid rôde. Quel délice, amour et Sade ! J’attends le confinement n° 3 avec indifférence ; l’emprisonnement volontaire est déjà mon royaume ! »), bourré jusqu’à la gueule de références et de citations plus réjouissantes les unes que les autres et dont le carambolage n’est pas l’un des moindres charmes de l’ouvrage (« J’aime piller »). Lorsqu’on a de plus, comme c’est mon cas, l’âge de l’auteur (Jacques Cauda est né en 1955), l’impression de familiarité est renforcée par le partage de noms qui ont marqué toute une génération, celle qui n’avait que difficilement accès à Sade et qui a grandi sous une constellation d’auteurs de la modernité (Rimbaud, avec Joyce, Pasolini, Klossowski et tant d’autres).

Avec un humour certain, Cauda imagine se laisser interviewer par Sade (– Quand approximativement avez-vous commencé vos pornographies ?), raconte ses repas, commente des lettres obscènes reçues d’une admiratrice, se fantasme en personnage de La Nouvelle Justine ou des 120 Journées, alterne la prose la plus prosaïque avec des poèmes marqués, y compris dans les évocations scatologiques, par le principe de délicatesse, et réussit, illustrations aidant[1], à produire un formidable objet littéraire, extrêmement personnel et peut-être testamentaire.

 

[1] La belle mise en page de ce livre bien imprimé est malheureusement déparée par plusieurs coquilles (Blagis au lieu de Blangis p. 19, omission d’un mot dans la citation On n’est point criminel… p. 21).

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Fabrice Thumerel

Critique et chercheur international spécialisé dans le contemporain (littérature et sciences humaines).

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