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[News – chronique] « Viv(r)e L’Humidité » !, par Fabrice Thumerel

janvier 16, 2022
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[News – chronique] « Viv(r)e L’Humidité » !, par Fabrice Thumerel

Quelle subversion nos revues génèrent-elles en un temps où la notion même de « subversion » a été subvertie ? Quelle « hygiène de l’art » en un XXIe siècle où les artistes (au sens large) se précipitent dans les fondations des milliardaires ou se bousculent pour collaborer aux illusoires « mondes nouveaux » proposé par un gouvernement illibéral ?

Hervé Fischer

Les manifestations proposées en ce début 2022 autour de L’Humidité (1970-1978), cette revue qui déchire, nous rappellent qu’en matière de poésie ou d’art, rien ne sert de maîtriser l’art du placement quand on s’avère incapable de se mouiller
Précisons, pour terminer ce chapeau, que le titre de cet article est emprunté à Laurent Cauwet, dans sa superbe préface au seul volume réunissant les 26 livraisons de L’Humidité (Al dante – Presses du réel).

 

Exposition consacrée à la revue d’art et de poésie créée par Jean-François Bory, L’Humidité (1970-1978) : à partir du mardi 18 janvier 2022, et jusqu’au samedi 05 mars 2022 15H00 – 19H00. [Du mardi au samedi 15H00 – 19H00. Tél.: 01 42 71 83 65 ; contact@enseignedesoudin.com enseignedesoudin.com]
Enseigne des Oudin – Fonds de dotation 4 rue Martel – 75010 Paris [Cour 3, Esc E, Sous-sol]

La revue sera aussi présentée du 18 janvier au 1er février 2022 à la Bibliothèque Kandinsky – Centre Pompidou.

Table ronde sur L’Humidité (1970-1978), samedi 22 janvier 2022, 14H30 – 17H30, Bibliothèque Kandinsky Centre Pompidou Niveau 3

Programme

14H30 : Introduction

Mica Gherghescu, responsable du pôle Recherche et programmation scientifique de la

Sarenco, « Situation de la poésie », 1971

Bibliothèque Kandinsky et Jacques Donguy, critique d’art, poète, traducteur et théoricien.

14H45 : L’organisation et l’édition de l’Humidité

Jean-François Bory, créateur de la revue

15H15 : Rôle de la revue dans le panorama littéraire et intellectuel des années 70

Jérôme Duwa, docteur en histoire de l’art, professeur d’Humanités modernes et chercheur indépendant

15H45 : La place de l’artiste dans la diffusion des idées (en visio depuis le Canada)

Hervé Fischer, artiste, écrivain, philosophe

16H15 : Art par correspondance – biennale 1971

James Horton, doctorant, École normale supérieure, Paris

16H45 : Créer une revue aujourd’hui : Cockpit

Charlotte Rolland et Christophe Fiat, cofondateurs de la revue

17H00 : discussion avec la salle

 

L’Humidité ou l’hygiène de l’art

Jean-François Bory, L’Humidité (1970-1978), préface de Laurent Cauwet et présentation de Jérôme Duwa, Al dante, 2012, 768 pages, 30 €, ISBN : 978-2-84761-823-5. [À commander aux éditions Presses du réel]

« Peut-être aurez-vous la chance de distinguer
dans son bivouac la chimère de l’humidité de la nuit ?
il est tel qu’il se rêvait » (René Char).

« IL FAUT ÊTRE SECTAIRES.
C’EST FINI LE DIALOGUE AVEC LES CONS »
(Sarenco,  L’Humidité, n° 9, Italie, été 1972).

« L’Humidité : enfin livre ! », s’exclame Jérôme Duwa dans sa présentation, et cela grâce à Laurent Cauwet. Lequel, faisant sien ce « vrai art méchant salvateur et conceptuellement indéfendable« , rappelle la place importante de cette revue de Jean-François Bory « dans la galaxie des revues qui, en France, dans les années 60/70, ont servi de plate-forme et de courroie de transmission aux avant-gardes internationales » : « derrière cet esprit à la fois frondeur et dilettante, se construit un espace de pensée et de recherche, un vrai laboratoire où se croisent les pratiques artistiques les plus novatrices du moment » (p. 6-7). Pensez donc, L’Humidité consacre son numéro 2 aux manifestes futuristes, s’inscrit explicitement en droite ligne du dadaïsme et du surréalisme, avec ses irrévérences, ses détournements, ses ready-made et collages (José Pierre : « Autre perfide effet de collage, agissant comme une provocation : lorsque l’étiquette « poison » surgit d’un baiser de « comics » au milieu d’une chanson d’amour » – p. 278)… La transgression a pour corollaire que tout objet peut devenir artistique, y compris le fer, que met en exergue l’original numéro 10 (fers de Florian Agullo, « repasse-vagues » de Plessi) :

Henri Maccheroni, « Portrait corrigé n° 2 »

« Que faire d’eux ? Ils s’affairent. Ils s’enferrent. Ils passent. Ils marchent. Sanglantes brebis en mal de bouchers pour leur cœur » (Jean Demélier, p. 194).  Subversion post-surréaliste encore avec l’abécédaire critique de Francis Naves :

« ŒUVRE
tenir pour suspecte toute œuvre que l’on peut nommer, classer, étiqueter, qui cherche à se couler dans un moule existant, créé par d’autres ou, tout aussi tristement, par son auteur » (p. 408).

Cette revue au carrefour des avant-gardes fait également la part belle à la poésie visuelle, à la poésie concrète, au body art… À l’art sociologique, qu’incarne Hervé Fischer, qui propose une « hygiène de l’art » reposant en partie sur « la déchirure comme pédagogie » :

« L’hygiène de l’art, ce que j’appelle ainsi, c’est donc le « décrassage culturel » (rejet de la culture consacrée), qui doit permettre de nouvelles prises de conscience, et la mise en situation de rupture avec le respect que suscite généralement le caractère sacro-saint de l’objet d’art. […]
L’hygiène de l’art aboutit à une pratique matérialiste de l’art, c’est-à-dire une pratique fondée sur le matérialisme historique et qui s’exerce sous une forme socio-pédagogique. […]
L’hygiène de l’art est une pratique politique, qui opère dans le champ spécifique de l’art, mais dont le but lui est extensif » (pp. 472-73).

On n’oubliera évidemment pas le fondateur de la revue, Jean-François Bory, qui a lui aussi droit à son numéro spécial (n° 18) : « Le travail de Jean-François Bory dénoue avec une singulière évidence le problème fondamental de la poésie visuelle, c’est-à-dire l’équilibre des motifs verbaux (lettres de l’alphabet, syllabes, mots) avec certains matériaux visuels (figures humaines, machines, structures architectoniques)  » (p. 418).

Mary Beth Edelson, « Some Living American Women Artists », 1972

Ce volume unique qui regroupe en fac-similé la totalité des numéros (25 + un 26e, fait de documents retrouvés) permet en outre d’apprécier les singularités matériques de la revue, de percevoir l’édition de revue « comme forme de création » (cf. Arthur Hubschmid, p. 525). Least but not last : fait assez rare à l’époque, le numéro 24 met en Cène des voix de femmes qui s’interrogent sur leur travail, mais aussi sur « la mythologie masculine » (Irène Schwartz) comme sur la reproduction du/au « fémi-rien » (Christine Davenne)…

On terminera sur un objet salutaire qui pourrait trancher le problème des bullshitters dominants…

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Fabrice Thumerel

Critique et chercheur international spécialisé dans le contemporain (littérature et sciences humaines).

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