Philippe Jaffeux, Nouveaux courants, Les Météores, février 2025, 72 pages, 10 €, ISBN : 978-2-9560113-8-5.
« Nous sommes poursuivis par nos ombres car le soleil a précédé notre naissance. » Platon ne dirait pas mieux.
Depuis Courants blancs (2014) où il s’est révélé, parmi les contemporains, comme notre poète aporétique majeur, Philippe Jaffeux, qui a depuis pris le temps de s’instruire en éthologie (De l’Abeille au Zèbre, 2023), en peinture, en musique, nous revient en force et en faiblesse dans ces Nouveaux Courants, cette faiblesse désormais émolliente qui fait sa force.
« Ce que l’on sait n’a pas besoin d’être expliqué avec des mots que l’on ne connaît pas. » Ramenée à un trois temps privé d’images, une leçon de Char pris par son revers, par son envers. Char envers et contre tout ce qui a pu être semé depuis de vilenies, de niaiseries à son encontre (trop solaire).
Mais avec le recul, on peut aussi y lire Char asséché de sa sève, réduit à sa seule raison.
« Respecter les yeux qui essaient toujours de s’ouvrir pour la première fois. » Respecter où d’autres inspectent. Respecter le spectre de Hamlet. La lumière dans tout son spectre. Mieux que Hamlet, n’en pas lâcher le sceptre.
« Une intensité gigogne emboîte nos renaissances dans un vide inépuisable », en un trois temps régénéré d’être aporétique.
« Divertir l’ironie de notre humour lorsque notre joie blague avec un rire absurde. » L’éclaircie d’un cinq temps moqueur quand l’homme étouffe.
« Écrire un mot à la place d’un autre pour réagir au zèle d’un sens permutable » en raturant à tour de reins sa rature à même sa rainure d’airain.
« Le ciel appartient à des arbres qui s’élèvent toujours plus haut que les hommes » pour après une telle débauche de swing abstrait revenir à une simplicité élémentaire.
« La lumière inspire nos métamorphoses depuis que les étoiles relayent le soleil. » Résolument euchronique où d’autres ne savent être qu’utopistes. Quand serons-nous enfin mus par la seule énergie du big bang ?
« Ressembler à un paysage perdu sur le visage d’un personnage sans fond. » D’âge en nage qui se confondent et se démultiplient comme les merveilleux nuages que Baudelaire préfère à tout.
« Écouter celui qui n’a rien à dire pour entendre ce que notre ouïe peut voir. » Redéfinir l’entendement, et à cette occasion reformuler tout l’inconscient freudien.
« Redouter ce qui nous fait croire que notre ignorance peut nous rendre heureux » rejoint l’art de l’inconnaissance auquel aboutit Joe Bousquet au terme, plus de trente ans après, d’une vie paralysée en 1918 par une balle allemande dans les reins et privée de son organe premier. Joe Bousquet, sur le mode intense du désir mutilé, précurseur de Jaffeux dans son fauteuil roulant.
À présent m’imprégner de Jaffeux sans commentaire pour m’en nourrir au plus creux de mes circonvolutions tant cérébrales que térébrantes, au crible d’une veine opposée.
Jamais on n’oubliera que dans Courants blancs (« Toutes les planètes sont rondes parce que l’univers n’a ni commencement ni fin ») Jaffeux actualise sinon égale Pascal (le monde une sphère infinie dont le centre est partout, la périphérie nulle part). Mais la raison pure, à l’usage, est un leurre dont Kant ne s’est jamais remis.
« Une intensité gigogne emboîte nos renaissances dans un vide inépuisable. » Telle la dialectique à trois temps de Hegel censée monter jusqu’au ciel, dont interprétée par son séide Marx ou nos raisonneurs libéraux l’homme étouffe.