[Chronique] François Crosnier, « Quand le noir tombe… » (à propos de Samira Negrouche, Traces)

[Chronique] François Crosnier, « Quand le noir tombe… » (à propos de Samira Negrouche, Traces)

juillet 9, 2021
in Category: chronique, livres reçus, UNE
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[Chronique] François Crosnier, « Quand le noir tombe… » (à propos de Samira Negrouche, Traces)

Samira Negrouche, Traces, Fidel Anthelme X, collection « La Motesta », janvier 2021, 46 pages, 7 €, ISBN : 978-2-490300-10-5.

 

Énigmatiques, trois photographies de Nathalie Postic représentant des arbres au crépuscule entourent (au sens physique puisque le livre est inséré dans ce triptyque d’images) le texte de Samira Negrouche.

Il y a autour de toi une nuée d’ombres écarlates qui s’évanouissent au soleil couchant, une nuée d’ombres mouvantes, une nuée. (…) Il y a des troncs autour de toi, parfaitement uniformes, une forêt de troncs d’un temps lointain que certains disent sacrée.

Le paratexte de cette belle édition indique que Traces a été écrit pour une co-création avec la chorégraphe Fatou Cissé, ayant fait l’objet de deux représentations publiques à Conakry, lors du festival l’Univers des mots, en novembre 2019. Jamais désignée explicitement, sauf à la toute fin du livre par une litanie de noms de lieux, l’Afrique est ainsi présente en arrière-plan des onze parties, sans titre, qui composent le recueil.

Ouvert par un « Je » (Je ne dors pas la nuit quand la lumière tombe), le discours de la narratrice se propose « d’organiser les sons en fouillis », de s’attarder sur les « visages en fouillis » qui lui apparaissent au crépuscule. Accueillir dignement un visage qui passe, fût-ce une foule en délire, voilà ce qui mobilise l’attention de celle qui passe au « Tu » dès la seconde partie, alternant ensuite la première et la deuxième personne du singulier. Traces peut ainsi se lire comme une adresse à une interlocutrice séparée par le temps et l’espace :

Il y a le poids du temps, il y a le poids des histoires, que nous ne partageons pas.

Ces histoires, on les devine tragiques, finalement résumées par les mots porte de Gorée :

Partout, on m’a parlé de blessures

et de pardons

ceux qu’on n’attend plus

ceux qui viendront un jour

ceux qu’on fera semblant de ne pas devoir.

Mais auparavant, Samira Negrouche a traversé (et été traversée par) un enchevêtrement de pouls, de souvenirs, de présences, de vies, de questions dont les traces abstraites sont métaphorisées par la vague qui s’abat sur toi comme un souffle régulier et uniforme et qui laisse voir ces corps tendus, drapés de blanc et d’élan.

Le texte s’inscrit dans une tension entre le proche et le lointain, entre le geste et l’immobilité, entre le halo de la nuée et la précision des incarnations récurrentes : le nœud, le tronc, le menhir, le puits. Samira Negrouche fait ressentir au lecteur le vertige qu’elle éprouve devant le lointain qui défie l’imagination, mais aussi le caractère hypnotique de cette nuée silencieuse qui semble porter tant d’histoires, tant de mots, tant de visages, tant de paysages, tant de langues, tant et tant…

Face aux processus d’oubli, de perte, de dissolution, d’effacement, la poésie réaffirme le souffle de vie, la possibilité d’emprunter des portes, de se risquer à la route.

Tout de nous finit par être recouvert

tout de nous reste.

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