Suite à la parution en décembre dernier de Polyphonie Penthésilée (P.O.L, 144 pages), mais également, en ce début janvier 2022, d’une anthologie proposée par Marie de Quatrebarbes aux éditions du Corridor bleu, Madame tout le monde, ce dossier qui emprunte son titre à l’une des sections de Polyphonie Penthésilée pour réunir entretiens, extraits (inédits pour la plupart) et chroniques, vise à donner un aperçu complémentaire de la création actuelle au féminin, tout en donnant la parole à des poétesses sur leurs pratiques comme sur les conditions qui leur sont faites dans cet espace éditorial de circulation restreinte : environ deux tiers d’entre elles (61,5% exactement) ont participé à l’une ou l’autre de ces deux aventures collectives cruciales que sont Lettres aux jeunes poétesses (L’Arche, 2021) et Madame tout le monde ; ajoutons deux autres variables, l’âge (pour l’instant : une septuagénaire, une sexagénaire, une quinquagénaire, six quadragénaires et quatre trentenaires) et les lieux d’édition (une petite trentaine). Les trois mêmes questions sont posées à chacune afin de construire un éventail de réponses qui, à défaut de constituer une enquête conforme à tous les critères propres aux sciences sociales, n’en est pas moins significative.
Après l’entretien de Liliane Giraudon, de Sandra MOUSSEMPÈS, d’Aurélie Olivier, qui a dirigé le volume Lettres aux jeunes poétesses (L’Arche, 2021), de Virginie Lalucq, d’Elsa Boyer, de A.C. Hello, de Marina SKALOVA, de Laure Gauthier de Virginie Poitrasson, de Katia BOUCHOUEVA, voici celui d’Isabelle ZRIBI.
Née en 1974, Isabelle ZRIBI vit et travaille à Paris. Elle a fondé et coanimé la revue Action restreinte et collaboré aux Cahiers du cinéma. Elle a fait paraître M.J Faust (Comp’Act, 2003), Bienvenue à Bathory (Verticales, 2007), Tous les soirs de ma vie (Verticales, 2009), Quand je meurs achète-toi un régime de bananes (Buchet Chastel, 2014) et La Revanche des personnes secondaires (éditions de l’Attente, 2019).
En ce temps de chasse au « wokisme », comment traiter encore les rapports de domination ? Sans tomber dans l’idéologie et en maintenant le cap : LIBR-CRITIQUE s’est toujours inscrite dans le prolongement de la pensée critique des Modernes, ce qui suppose le refus de tout identitarisme. Dans Soi-même comme un roi. Essai sur les dérives identitaires (Seuil, 2021), Élisabeth Roudinesco montre lumineusement en quoi diffèrent les luttes émancipatrices du siècle dernier et celles menées actuellement au nom de telle ou telle soi-disant « identité » (raciale, nationale ou sexuelle) : les premières visent un universel singulier (Sartre) ; les secondes, un particularisme sectaire. /FT/
Entretien de Fabrice Thumerel avec Isabelle Zribi
FT. Aujourd’hui, que font les femmes à la poésie ?
IZ. Je voudrais d’abord revenir à Madame tout le monde, le recueil de textes écrits par des poétesses ayant fait paraître un premier livre ces dix dernières années, paru au Corridor bleu, auquel ont participé quelques auteures de ce Dossier.
Sur le principe d’une telle anthologie, je pense qu’il est utile de présenter un recueil de textes écrits par des femmes ou sur leur pratique littéraire, dans le but de leur donner une visibilité, qu’elles n’ont pas assez. Cela a été fait à plusieurs reprises, dans des livres (Quelqu’un plus tard se souviendra de nous, Poésie/Gallimard, 2010 ; Poésies en France depuis 1980, 29 femmes, Stock ; Lettres aux jeunes poétesses, 2021, l’Arche) ; ou dans des revues (par ex. Rehauts : « 12+1 femmes »). Systématiquement, de telles parutions engendrent les mêmes remarques, principalement d’hommes d’ailleurs : comment, il n’y a que des femmes, mais pourquoi, ce sont des écrivains comme les autres, y-a-t-il une écriture féminine, mais ne va-t-on pas cloisonner, exclure, etc. C’est drôle de retrouver cette idée commune dans la présentation de Madame tout le monde et de l’anthologie de Gallimard, la crainte de laisser penser qu’il existerait une écriture féminine, « récusée » « même » par les poétesses.
Je m’étonne de la persistance de cette réaction et de son anticipation. Personne ne trouve grand-chose à redire quand un recueil, une revue, une rencontre n’inclut que des hommes. Là, personne ne se dit, quoi, comment, mais y-a-t-il une unité entre eux qui justifierait ce regroupement non mixte sur l’espace littéraire public, une écriture masculine, est-ce que ce livre n’est pas cloisonnant, excluant, etc. Pendant des siècles, pas grand-monde ne s’est d’ailleurs choqué de l’absence de parité en littérature. De la même manière, au-delà du mot lui-même, trop parental à mon goût (comme patrimoine d’ailleurs), l’idée de constituer un matrimoine permet de faire persister dans le temps des textes écrits par des femmes et c’est essentiel, quand on voit à quel point il existe, particulièrement en France, une amnésie historique de leur travail, quand il a existé. Cette visibilité c’est tout simplement pour dire, voilà, les femmes aussi contribuent à la poésie, elles existent. Et je trouve que Madame tout le monde atteint son but : semblable à un numéro de revue et de très bon niveau, il inclut des textes qui se répondent, tout en étant très variés, et me donne envie de lire des autrices dont j’ignorais l’existence.
On en vient à la question de savoir si par ailleurs, les femmes agiraient et comment sur la littérature, sur la poésie. La phrase de Liliane Giraudon est à la fois étrange et juste. Elle présuppose qu’il y a d’abord la poésie, puis les femmes qui arrivent, après sa création, et qui lui « font » quelque chose alors même qu’elles sont censées l’écrire. Si elle parait d’emblée circulaire, cette phrase est exacte historiquement. Les hommes ont créé la poésie, comme la littérature dans son ensemble, et les femmes sont venues ensuite, à l’exception de quelques Sapho et Marie de France. C’est une réalité : tout écrivain en devenir marche parmi des statues et des bustes de grands auteurs presque exclusivement hommes. Dans la poésie, en France notamment, c’est très prononcé. Les mânes sont globalement des hommes : il n’y a qu’à voir les programmes scolaires ou taper « meilleurs poètes français » sur google : Rimbaud, Mallarmé, Baudelaire, Verlaine, Villon, Nerval, Michaux etc. Ce n’est pas anodin, pour un auteur, d’écrire, sans beaucoup de modèles qui lui ressemblent, en ayant le sentiment de s’inscrire dans une histoire qui semble d’emblée l’exclure par un trait d’identité, qu’on soit une femme et/ou d’une autre minorité silencieuse d’ailleurs.
Les femmes sont, en revanche, plus vivantes que mortes : Liliane Giraudon, Adilia Lopès, Ryoko Sekiguchi etc. et Madame tout le monde le démontre aussi pour ces dix dernières années. Est-ce que c’est positif ? Est-ce que c’est dynamisant, pour la poésie ? Oui, nécessairement : c’est toujours mieux que davantage de points de vue s’expriment en art. C’est vrai pour toutes les minorités, pas seulement pour les femmes. Est-ce qu’il serait choquant de dire qu’elles apportent quelque chose du fait de leur long silence, qu’elles seraient, à leur manière, des exploratrices ? Je n’en vois pas la raison. Que de se taire autant de siècles ait au moins valu le coup. Et même si ne pas avoir d’ancêtres à son image peut être un fardeau, cela peut être aussi libérateur. Enfin, d’un point de vue général, je ne vois pas comment le fait d’écrire depuis la position de celle ou celui qui vient après n’aurait aucune incidence sur le texte, même s’il ne se résume pas à ça bien sûr et qu’il faudrait faire certainement une étude poussée pour savoir exactement comment.
FT. Remise en question, la domination masculine est encore d’actualité dans le milieu poétique. Est-ce à dire qu’un #MeToo y serait également nécessaire ?
IZ. Il me semble important de réagir tout d’abord à votre première idée, la domination masculine, qui est effectivement d’actualité dans le monde poétique. La première expression de cette domination, et la plus préoccupante à mon sens, c’est l’asymétrie des écrivains hommes et femmes en termes de reconnaissance en France. Il y a encore beaucoup de chemin à faire pour qu’on ait, d’un point de vue de la notoriété, un équivalent féminin à Rimbaud. Certes, il y a beaucoup plus de textes produits par des femmes. Mais on a l’impression que leurs textes sont là au présent, qu’ils n’ont pas vocation à durer ou très peu.
Par ailleurs, malgré les évolutions, les écrivaines demeurent une minorité sociale dans le milieu de la poésie. Il suffit de passer en revue les éditeurs de poésie. Leur très grande majorité sont des hommes et c’est dommage. Quand on est une femme, on sait qu’on va, la plupart du temps, adresser son texte à un homme. Ce n’est naturellement pas un problème en soi. Mais si on veut envoyer un texte féministe par exemple, on peut avoir la crainte, peut-être à tort, de ne pas être entendue. Dans les revues de poésie, il y a, il y a eu des femmes (Liliane Giraudon, pour If et Banana Split, Florence Pazzottu et Isabelle Garron dans Petite, qu’elles co-animaient avec Thierry Trani, Hélène Durdilly, dans la revue Rehauts, Laura Vazquez dans la revue Muscle…). Mais force est de constater qu’elles demeurent minoritaires en nombre.
Ce déséquilibre de genre aux places de pouvoir, même si c’est relatif dans un monde où la gloire est rarement internationale et où on vend à 200 ou 300 exemplaires, ne peut pas être sans conséquences. Je ne pense pas nécessairement que cela conduit à un filtrage des textes, même s’il serait utile de s’en assurer, mais que cela place les femmes dans une situation où elles n’ont pas le pouvoir. Elles le savent et on ne leur laissera pas l’oublier.
Cette position asymétrique peut se faire sentir dans des rencontres ou des lectures. Avec Virginie Lalucq, il nous était arrivé une petite aventure qui nous avait particulièrement énervées, mais qui était en réalité très banale, lors d’une rencontre à laquelle on était invitées ensemble et sur laquelle on avait écrit d’ailleurs un court texte. Trois femmes étaient invitées. Naturellement, on a eu le droit à la journée de la femme, à une remarque sur la parité, non sans ricanements, et par ailleurs, on nous a présentées, avec une troisième auteure, comme des Parques qui tisseraient le temps de notre soirée. Cela peut sembler anodin, mais pour nous, ça ne l’était et ne l’est toujours pas. Naturellement, trois invités hommes auraient échappé à toute remarque sur leur genre et la non mixité.
Cette domination masculine se fait sentir également dans les notes critiques, peut-être d’ailleurs, avec une part involontaire. Les femmes écrivains sont souvent comparées entre elles, comme si elles faisaient partie d’une espèce à part.
Enfin, mais on quitte le domaine véritablement littéraire pour aborder la question de rapports sociaux, même si cela change sans doute, souvent, quand on se trouve dans un groupe de poètes, de nombreux hommes (ceux qui n’ont pas réfléchi) se sentent en force, loquaces, voire monologuants, le cas échéant, libidineux avec les jeunes femmes. Pour beaucoup, on dirait qu’ils sont propriétaires de la poésie, de la littérature, et que les femmes se contentent de décorer leur territoire. Dans une telle atmosphère, en tant que femme, et plus encore quand on est une jeune femme, il arrive souvent qu’on ne se sente pas à l’aise. Ici, je ne préciserai pas, comme les femmes se croient toujours obligées de le faire, que j’ai de très bons amis hommes. Les hommes qui ne reproduisent pas ce comportement, fruit malheureux de l’éducation binaire que nous subissons toutes et tous, savent très bien que je ne parle pas d’eux.
Sur la question spécifique de Meetoo, je la comprends comme se demandant s’il existe, dans le monde de la poésie, des cas de viols, abus, harcèlement envers les femmes, au-delà du sexisme indéniable qui y règne. Je n’en ai pas vécu personnellement mais j’imagine qu’ils doivent exister, comme dans tout milieu. Meetoo n’exclut pas par principe le monde de la poésie et si des femmes ont des choses à dire et souhaitent le faire sous cette forme-là, qu’elles le fassent, même si personnellement, je préfère la voie des poursuites pénales, quand elles sont encore possibles, car elles permettent un procès avec toutes ses garanties, que le pire des salauds mérite.
FT. En fin de compte, bien qu’il n’y ait pas d’écriture féminine (à bas l’essentialisme !), en quoi peut consister cette « langue / introuvable » qui serait celle des femmes selon Liliane Giraudon ?
IZ. J’aimerais revenir sur la question de l’écriture féminine. Il n’existe pas d’écriture qui aurait, parce qu’elle est élaborée par un écrivain qui se trouve être une femme, une forme particulière spécifique et dont le style se résumerait au genre de son auteur. Je ne pense pas que Liliane Giraudon ait voulu dire que les écrivaines composeraient, sans le vouloir, et de par leur genre, une école littéraire involontaire. Précisément, dans sa phrase, cette langue est introuvable.
Cela ne signifie pas pour autant, à mon sens, que le genre n’ait aucune incidence sur le texte. On le voit bien quand on lit les textes considérés comme majeurs, globalement écrits par des hommes. La misogynie, le sexisme, la domination masculine intégrée, sont très présents. En tant que lectrice, il faut vraiment se blaser et aimer beaucoup le reste, pour passer outre. Avant de réfléchir à la question de l’écriture des femmes, ou de personnes non binaires d’ailleurs, il faudrait certainement se pencher sur la manière dont la littérature a été affectée par le genre masculin de la plupart de ses auteurs, voire par un certain virilisme.
Au-delà des extrémités que j’évoquais, dans l’écriture, à moins d’avoir œuvré pour en gommer toute trace, ce qui est également possible, bien sûr, le fait d’avoir été éduqué(e) comme un homme ou une femme n’est pas sans conséquence sur la manière dont on parle et dont on écrit. D’abord, les filles et les garçons ou envisagés comme tels n’apprennent pas à parler et écrire, de la même manière. Par exemple, on ne leur inculque pas le même rapport à la parole péremptoire et au propos dubitatif. Une conséquence en est, peut-être, qu’il existe peu de livres d’aphorismes écrits par des femmes. On peut se défaire de son éducation mais il en restera souvent des traces. Je rêve d’une auteure qui, s’étant émancipée de sa langue apprise en tant que fille, écrirait sur la nouvelle langue qu’elle se serait donnée, moins contrainte par les genres, et son rapport à la première, qu’elle n’aurait peut-être pas totalement abandonnée.
Ensuite, de façon plus évidente, les femmes vont écrire notamment depuis la position sociale qui est la leur. Pour prendre un exemple, dans son Requiem, Anna Akhmatova parle pour les femmes russes qui, comme elle, font la queue devant les prisons de Léningrad, dans lesquelles leurs proches sont détenus, pendant la période des purges (« je voudrais vous nommer toutes par votre nom/Mais ils ont pris la liste. Ou poser les questions ?/ J’ai tissé pour elles un grand voile/avec ces pauvres mots qu’elles m’ont donnés »). En définitive, l’incidence du genre sur le texte n’est naturellement pas de nature innée ou biologique mais résulte de la construction sociale des genres et de ses conséquences.
Mais on peut néanmoins dire que les écrivaines ont sans doute apporté des choses nouvelles à cette littérature qui a été créée sans elles. Les textes écrits par des femmes pourront, si ces auteures le souhaitent bien sûr, et rien ne les oblige à ça, donner lieu à entendre des voix et des figures crédibles de femmes qui ne sont d’ailleurs pas superposables, comme l’a mis en exergue Sandra Moussempès dans son entretien et son inédit. Dans la préface de Madame tout le monde, Marie de Quatrebarbes énonce cette idée intéressante qu’il y a souvent, dans les textes qu’elle a réunis, un rapport conflictuel, dû au fait que les femmes doivent créer le monde dans lequel elles veulent vivre. On ne peut pas en faire une règle générale, naturellement, mais peut-être qu’effectivement pour certaines auteures, le genre, qui semble les exclure de la poésie, les conduit à aborder l’écriture avec cette position. Je pense également, d’une manière plus formelle, à la question du genre dans l’écriture. Concrètement, ce sont des femmes récemment et des hommes gays, plus anciennement (Genet, notamment) qui ont travaillé sur ces questions d’un point de vue formel. Je pense à Monique Wittig, et ses guérillères dont tous les sujets, quelle que soit leur anatomie, s’expriment au féminin ; ou encore à Liliane Giraudon, qui évoque souvent le genre comme sujet (à commencer par le titre Madame Himself). Dans Madame tout le monde, on trouve également un travail de traductrices (Elsa Boyer et Camille Pageard, traduisant Verity Spott) tentant de trouver une forme adaptée (singulière d’ailleurs) pour rendre l’écriture inclusive dans le texte anglais et décident d’insérer des « s » inversés pour désigner la marque inclusive, et d’utiliser les pronoms « luie » (elle et lui) « iel » (lui et elle) et « lac » (le et la). Cette préoccupation du genre dans le texte n’appartient ni aux femmes ni aux gays. Mais il se trouve que ce sont elles, ce sont eux, qui s’y sont intéressé(e)s, parce que tout simplement elles et ils se sentent davantage concerné(e)s par ce sujet. Je crois que l’intérêt des femmes pour le genre vient précisément de leur position d’outsiders. Dès lors qu’après des siècles de silence, elles peuvent participer, vont-elles notamment accepter de fondre leurs personnages dans le pluriel masculin, que l’on ne parvient plus à ressentir comme neutre ?
Pour conclure, je citerais cette phrase de Rébecca Solnit, penseuse américaine qui a beaucoup écrit sur le féminisme : « Chaque femme qui apparaît lutte contre les forces qui veulent raconter son histoire à sa place, ou la rayer de l’histoire, de la généalogie (…) La capacité à raconter sa propre histoire, par des mots ou des images est déjà une victoire, déjà une révolte ». Au-delà des apports des poétesses à la littérature, à la poésie, qui sont aussi indéniables qu’hétérogènes, je pense que l’essentiel est de cesser de se crisper sur ce qui leur serait spécifique pour au contraire, se préoccuper de leur visibilité et de leur reconnaissance dans l’espace poétique commun.
Il faut bien mourir de quelque chose (extraits)
La légende tenace de la différence des sexes
Au travail, un groupe de femmes ce n’est jamais bon
Un groupe d’hommes, en revanche, ne connaît ni rivalité ni coups bas.
La sexualité des femmes est plus cérébrale
On a trop parlé des onze centimètres du clitoris. Il faut se rendre à l’évidence : les femmes n’ont pas d’organe sexuel. A défaut, elles doivent faire appel à leurs capacités mentales. Après-tout, le cerveau peut beaucoup. On dit qu’il permet à des personnes inertes de se muscler, rien qu’en imaginant leur corps en exercice, à des amputés de sentir un membre coupé, ou à des torturés de ne plus ressentir la douleur en la projetant sur leur tortionnaire. Pourquoi le cerveau ne pourrait pas également créer des sensations sexuelles sans support organique ou presque ? C’est ce qu’il fournirait aux femmes. Une question demeure : pourquoi alors ne pas faire l’amour aux femmes par leurs bras ou leurs omoplates ? Leur cerveau est si puissant qu’il leur pourvoira du plaisir dans tous les cas.
C’est un queutard
Certes, on réprouve un peu le comportement de celui qui aspire à des relations sexuelles avec des partenaires multiples. Malgré tout, il reste sympathique, avec son attirail qui ne rentre pas tôt à la maison. Au contraire, on n’aura aucune indulgence pour une femme qui adoptera un comportement identique. Là où le queutard exprime, même si c’est dans l’excès, sa condition d’homme, celle qui est vite nommée salope ou chaudasse, sort de sa vocation. Contrairement à son alter ego masculin, ses outils sexuels ne seront pas exhibés dans le langage. Elle n’est pas une clitorissarde ou une vaginarde, juste une femme qui se comporte mal.
Elles vont se crêper le chignon
Il est difficile de savoir d’où vient ce scénario de femmes à chignons qui, de colère, décideraient de faire à leurs ennemies une coiffure rétro. Je regrette qu’il n’existe pas une fiction similaire d’hommes aux têtes gominées qui, de rage, auraient entrepris de parer leurs adversaires d’une queue de rat des années 80 ! Je suis certaine que ces batailles de coiffures les plus horribles seraient des divertissements très appréciés dans les entreprises. Le jeu devrait d’ailleurs être mixte.
Les femmes-fontaine
On pourrait se demander à première vue pourquoi on ne parle pas également d’« hommes-fontaines ». Mais il faut dire qu’ils éjaculent moins.
Je vois mes potes / elle a une soirée filles
Les soirées entre potes sont un des regroupements 100 % mecs qui ont la meilleure réputation, presque autant que la majorité des réunions entre chefs d’Etats ou de dirigeants d’entreprise. Nul ne songerait à les appeler des « soirées garçons ». A quoi bon leur donner un nom ? C’est tout simplement un moment humain, chaleureux, drôle, au cours duquel on échangera sur des sujets variés, éventuellement alcoolisé. Pour les filles, c’est différent. En réalité, leur grand mystère tient à leur objet. Que peuvent-elles bien se raconter ? Surtout, sans hommes, quel intérêt de sociabiliser ? Butant contre cette énigme, on donne à ces soirées le genre de leurs participantes : ce sont des filles qui parlent de sujets de filles dans une atmosphère spécifiquement de filles, ce qui donne une soirée devenue elle-même fille, ce qui n’est pas très éclairant.
Pour être libres de faire ce qu’elles veulent, sans qu’on leur pose de questions, les femmes reprennent à leur compte cette expression, tels des francs-maçons prétendant énigmatiquement aller au sport.
Je t’ai vue dans la rue, tu avais l’air sévère
Une femme a l’obligation sociale de sourire perpétuellement. Même si elle marche seule dans la rue, elle doit s’efforcer d’étendre élastiquement sa bouche de part et d’autre de son visage, pour ne pas effrayer les passants.
Mais pourquoi retirer leur sincérité aux sourires ?
On parlait chiffons
C’est le sujet de conversation des femmes par excellence. Elles ne parlent pas de tissus, de couleurs, de modèles, ou de coupes, ce serait trop pointu, mais seulement de chiffons, bons à lustrer des chaussures. Certes, on ne voit pas bien ce qu’il y aurait à en dire, sauf peut-être à en faire un sujet d’étude plastique, mais on ne cherchera pas à en savoir plus. Des hommes lanceront eux-mêmes, de temps à autres, avec un sourire : « on parlait chiffons ». Contrairement aux femmes, il est entendu qu’ils privilégient, à l’ordinaire, des sujets de conversation beaucoup plus importants.
La publication, c’est comme un accouchement
Proust, Balzac, Musil, Joyce etc. Si on croit les listes de livres préférés, proposées sur les réseaux sociaux, la littérature requiert une prostate masculine. Même lorsqu’on est bien intentionné, il faut un temps de réflexion pour trouver des femmes à ajouter à sa liste : Virginia Woolf, Violette Leduc, Anna Akhmatova, Gabrielle Wittkop, Alexandra Pizarnic, Mary Shelley, Jane Bowles… Malgré l’emprise masculine sur la littérature, dès qu’il est question qu’une femme publie un livre, elle n’échappe pas à une comparaison obstétricienne : « publier, c’est comme un accouchement » (« il faut le laisser avoir sa vie propre »). De gré ou de force, on extirpera son livre de son sexe.
Coups de vieux
L’important c’est d’être jeune dans sa tête
L’idée est simple : peu importe que l’extérieur soit délabré, dès lors que la jeunesse est nichée dans un tiroir secret du cerveau.
Quel dommage de ne pas s’enorgueillir des qualités du moins mentales dont le temps nous a fait cadeau ! Clamons plutôt, avec fierté, telle l’écrivaine et peintre Leonora Carrington : « j’ai l’esprit vieux » !
On dirait une vieille pute
Selon une norme non écrite, à partir d’un certain âge, toute femme doit porter des jupes couvrant les genoux, couper ses cheveux et arborer un maquillage discret.
Outre que la présence d’une femme dans les lieux publics n’a pas pour but de présenter un spectacle à succès, personne n’a à se soucier de normes qui n’existent pas. J’encourage toute femme, qui le souhaiterait, à faire pousser ses cheveux jusqu’aux fesses à 90 ans, se peindre le visage avec des couleurs vives et à suivre l’exemple de la grande écrivaine Violette Leduc en portant des mini-jupes après 60 ans !
La laideur du féminin
La féminisation des noms, c’est laid
Que ferions-nous si quelqu’un décrétait que des mots utiles comme parapluie et café devaient être bannis de la langue française, en raison de leur laideur ?
Privés de mots, on ne saurait plus quoi boire le matin et on serait saucés dès qu’il pleut.
Cette décision arbitraire provoquerait sans doute des émeutes dans toutes les villes de France. En revanche, on ne voit aucun inconvénient à ce que, pour un motif esthétique, on contraigne les femmes à se nommer au masculin.
Le travestissement peut être très amusant, à condition de le décider.
L’écriture inclusive est laide à l’écrit et impraticable à l’oral
Ce souci remarquable du beau et de l’utile conduira certainement à supprimer dans un même élan les mots disharmonieux et les lettres muettes.
Dire maîtresse (de conférence, des requêtes…) au lieu de maître fait penser à autre chose…
Apparemment, une institutrice donne immédiatement des idées libidineuses.
Dans écrivaine, il y a vaine
En revanche, pour une raison encore inexpliquée, rien n’est vain dans l’écrivain.