[Chronique] PHONOKAINÔSIS, par Carole Darricarrère

[Chronique] PHONOKAINÔSIS, par Carole Darricarrère

juillet 4, 2021
in Category: chronique, UNE
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[Chronique] PHONOKAINÔSIS, par Carole Darricarrère

Stéphane Montavon, Stéphane Marin, Ludovic Medery, Vincent Menu, PHONOKAINÔSIS, 2021, commander / écouter : bandcamp.com

 

Ce serait l’anti-histoire-géographie de la fin d’un monde. La planète ne serait plus ni tout à fait ronde ni même bleue. Le bleu serait passé par toutes les couleurs de l’arc-en-ciel. Nous ne serions plus que 19 je. Il est 11 h avant minuit, mystère, folie, qu’est-ce que cela signifie ?

Stéphane Montavon en profite pour se réinventer et jardiner en poésie, sauver le monde de l’impasse consumériste dans laquelle il se fourvoie et planter ses semences dans l’œillet purpuréen de nos pupilles avec la légèreté gravitationnelle d’un papillon illettré. Sous une languette de papier calque, dans le trou noir de la langue, l’œil de Caïn d’un livre nain vous regarde, les mots volent en sons, des miettes de conscience se cherchent, des transparences jouent à cache-cache, dix par treize centimètres de papier à la renverse s’accordéonnent au besoin de sens et de beauté, l’avenir du livre de poésie est un objet d’art non mercantile qui pulvérise les frontières de la lecture et galvanise les sens, d’un coup tiennent entre nos mains l’origine silence de la couleur dans le cocon guerrier de l’univers, le texte et sa recherche, le nouveau s’agrège aux débris de l’ancien pour mieux se reconnaître.

Donnez-leur du son des mots et de la lumière, du son pur et dur comme en produit la Nature qui fuse, déluge, chuinte, gire geint et vire, de la prose qui narre et de la poésie qui distille et postillonne, de la lumière qui enfante le réel en laquelle le spectre mobile des mutations de la couleur réenchante la matière noire de la substance, un projet à huit mains qui ont des yeux pour voir et des oreilles pour entendre, le tout cousu maison avec passion et un sens du détail qui rivalise de créativité : mention spéciale et coup de cœur avant de tirer ma révérence et rouler au vent qui va nu à contre-courant des éoliennes comme de la fin du monde.

L’hypokeimenon, qui nous vient du grec, prête ses sonorités au texte, à cheval sur la philosophie, la théologie et la métaphysique, Platon et Aristote, l’essence se confond avec la substance et se trouve au fondement du mot quand la kénose invite au renoncement et convoque la souffrance.

Cette arche de Noé poétique supra sonique – un projet multidisciplinaire et multidimensionnel au sein duquel l’image et le son riment avec le texte – est une aventure métaphysique, un saut dans l’inconnu, une issue méditative au penchant narcissique scénique qui règne aujourd’hui sur la façade, c’est aussi un quantique son & lumière qui ausculte la réalité sensible dans un élan nomade de créativité et prouve que la poésie ressuscite in fine de préférence là où l’on ne l’attend pas et reste toujours en supplément, à inventer.

Les oreilles spontanément « y pêchent à pied des épars ». Les mots qui s’épavent, réduits à l’état de corps flottants, se délivrent des voix et de leurs oripeaux. Stéphane Montavon leur offre une chance de s’assembler dans un ordre qui surpasse l’entendement. Les couturiers acoustiques Stéphane Marin et Ludovic Medery, le designer graphique Vincent Menu, lui répondent. Un Nouveau Monde s’ouvre sans forfanterie au carrefour de tous les talents.

Par ce sucre d’orge, en son trousseau de cécité, s’observent les effets d’optique du tantra du vide entre les mots, le fourmillement natif de la langue et les constellations des hallucinés dans le ciel anthracite des derniers damnés du déclin. Ces taches entre la vie et la mort fondent comme texte au néant, soleils verts et roses, disques durs de la colorimétrie universelle attachée à l’illusion, centres du tout de la matière en anneaux de défusion. De la créativité à la création il n’y a qu’un pas que la poésie franchit avec cette élégance rare des coups de dés qui s’ignorent. Geindre, gicle, ceindre, entretiennent des relations mallarméennes détachées avec le hasard. Écrire désécrit sans prétention ce qui reste. Dans le monde tel qu’il est, que reste-t-il justement à dire en toutes lettres dont les chiens de garde ne se soient pas d’ores et déjà emparé. Le transfert a lieu en évocation. À contre-courant. En suisse. Sous cache. Une idée de génie à huit mains a plus de tours dans son sac que le je d’une initiative personnelle. L’avenir est compère et collaborateur. Stéphane Montavon nous le dit du bout des lèvres, avec les auras concentriques des mots des lendemains « des noyés des ardents ».

Vigilance. Le monde d’après est déjà là qui se rimbaldise encore dans la vision. Ce zinele beau en arabe –, cette lubie, cette intuition, cette envie subite, ce fanzine à édition illimitée est une offrande au reste d’humanité qui geste en nous a contrario d’un bouillon d’anti-culture et autant de confusion. Que l’on se rassure, si la culture française se meurt dans les limbes de la mondialisation automate il y a une culture suisse qui ouvrirait sur l’univers après la mort.

Le paysage numérique astro-instrumental qui accompagne ce passeport poétique est téléchargeable aux formats MP3, FLAC et plus sur bandcamp.com. Il se compose de quatre plages de son en écho aux mots. « Pour la musique c’est au chapeau, on donne ce qu’on veut sur Bandcamp ; en revanche, pour le livret + la musique, c’est 18 euros ; il n’y a pas de nombre défini d’exemplaires, 25 sont faits, et s’il y a plus de demande, il en sera confectionné davantage. Ici il pleut, il fait chaud, la terre et les plantes sont grasses, c’est beau ».

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librCritique

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2 comments

  1. Montavon
    Reply

    S’il faut donner une identité à ce projet, elle serait moins nationale qu’européenne : belge (Medery: son), française (Marin: son), allemande et portugaise (Weber & Alcantu: édition), suisse enfin (Montavon: texte) – bon trip à toux! Stéphane

  2. Stéphane Marin
    Reply

    « Le paysage numérique astro-instrumental qui accompagne ce passeport poétique (…) se compose de quatre plages de son en écho aux mots. ». Pardon de vous reprendre avec un certain manque de tact- dont je m’excuse par avance- mais, sans doute n’êtes-vous pas très bien informée… car ici (comme dans beaucoup d’autres projets…) le Verbe ne précède pas le Son… Il serait plus juste de penser « le poétique » comme ce « passeport » que vous évoquez, ouvrant vers la destination initiale : le « pays-son ». Car oui, ici, ce sont bien les mots qui sont venus résonner, et offrir un écho original aux compositions. L’écriture sonore (n’en déplaise aux littéreux ;-p) est à l’origine de ce projet, puis le graphiste a travaillé sur les cercles lumineux accordés aux pistes sonores, et, enfin,tout au bout du process, Stéphane Montavon, en ponctuant avec ses mots les deux gestes artistiques, a réuni (avec audace et brio !) l’ensemble des écritures qui l’ont précédé.

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