[Chronique] Patrice Maltaverne, Venge les anges, par Jean-Nicolas Clamanges

[Chronique] Patrice Maltaverne, Venge les anges, par Jean-Nicolas Clamanges

février 7, 2014
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[Chronique] Patrice Maltaverne, Venge les anges, par Jean-Nicolas Clamanges

Patrice Maltaverne, Venge les anges, Minicrobe # 40, Revue Microbe C/O Launoy 4, B-6230 Pont-à-Celles, Belgique. D/2013/6555/3.

 

Ce petit livre s’intitule Venge les anges, car riment en ange une kyrielle de villes de la vallée de la Fensch en Moselle, haut-lieu – naguère – de la sidérurgie française. Sur ces villes, désormais, « Les corbeaux volent sur le dos pour ne plus voir la misère des travailleurs », aux termes d’un graffiti génial remontant à la grande période des luttes contre les fermetures d’usine, dans les années 80 du siècle précédent.

Aujourd’hui, les dernières convulsions de la lutte des classes dans cette région mettent aux prises, comme chacun sait, les travailleurs de Florange et des environs avec l’industriel ArcelorMittal. Autant dire que ce libellus de Patrick Maltaverne est embrayé au réel. HAVANGE, HERSERANGE, RODANGE, EUTRANGE, RUISSELANGE… Ce sont vingt proses brèves et denses, rageuses et v(a)ngeresses, hallucinées et ultra-précises (c’est la même chose), mystérieuses et ouvertes, aimantes aussi, tendres même.
– Et puis tellement désespérées.

Et écrites aujourd’hui. On y parle dru la langue courante, avec les mots qui d’ordinaire ne disent plus rien, mais ici tellement secoués, chahutés, tournés et retournés que les voilà comme neufs, pour un appel en urgence qui vrille notre surdité. Ici le peuple s’abrutit parfois « sur des visions de limbe du cul », on cuit un œuf « au chalumeau par crainte de la radioactivité », le ciel est « malade d’orage à perpétuité », les portes des wagons sont « dégondées comme le piano du pauvre », « la douleur pousse plus loin que l’hébétude ».
– Et puis quelqu’un pleure, « victime d’un cœur dépressurisé ».

Ici, il y a pas mal de monde : des anges évidemment, les noirs, les blancs, quelquefois cloués aux portes, une drôle de femme en ferraille clignotante, des bébés abandonnés entre des rails ou aspirés par des douves, des Dalton du Nord, des enterrés qui ressuscitent aux heures vagues, des paysans aux champs de bataille, des cueilleurs de champignons irradiés, des sans-le-sou et le crucifié dans la plaine, avec ou sans Kobolds autour, une fillette baguée de partout, des estivants bronzant sur un quai désaffecté, l’auteur en marcheur de fond dans nulle-part, des noyés aux belles teintes de vitraux glauques, des fiancés envolés (ô Chagall !), la femme du boulanger, un jeune pas assez hargneux quoique …, les ancêtres des parchemins qui connaissent les chemins invisibles de derrière l’infini.
– Et puis les gueux qui reviennent.

Ici rôde une sacrée gueule d’atmosphère : « dans ces vallées minières la vêture des arbres et des maisons s’épaissit comme s’ils avaient été plongés trop longtemps dans la boue » : on nage dans le fuel, on roule le long des « bois noirs en absence d’usine », le nuage de Tchernobyl n’arrête pas de stagner à la frontière du Luxembourg, on longe un étang plein de voitures volées où ne se suicide pas (de justesse !) une fille fringuée gothique, on rigole en parpaillot des clochers abonnés à la foudre des orages d’été en maraude.
– Et puis vapeurs, brumes, brouillard en nappes, comme un deuxième pays plus profond que l’original où surgissent des visions de plus jamais : « vos villes de passe seront des leurres ».

Ici, c’est clairement la vallée des anges sinistrés à la frontière du Nord, mais c’est aussi le miroir du monde entier tel qu’il nous arrive aujourd’hui, comme une irradiation dans le spongieux des champignons : « regarde-moi ces chapeaux aux courbes qui préparent leur voie lactée », comme une mémoire de guerre indélébile : « on a beau boire. Il fait froid au fond des trachées » ; c’est que rôde encore à l’horizon des friches industrielles, le temps où « la guerre va sans doute succéder au passage du train ». Quant à l’enfance ici, c’est paradis foutu : « Rien de joli vraiment, c’est comme si une boite à sucres en morceaux avait été pilée : l’enfance en garnit ses poches ».
– Et puis alors ?

Alors ? Rien d’autre que l’incessant de plus rien.

Le no future enragé de Maltaverne s’écrit comme ça :

DUDELANGE

 

Ici où nous faisons tourner les autos pour l’essence il n’y a qu’un seul sens. La circulation ininterrompue des moteurs nous électrise plus que les reflets dans l’eau. Nous n’en finissons pas de passer illico d’un silence à l’autre. La traversée des vallées d’usure devient une preuve de vie. […] Il ne reste plus que l’abandon dans ces parages. Avec une quantité non négligeable de rêves salis.

 

 © Photo en arrière-plan : Alain Pras, haut-fourneau de Hayange.

 

Patrice Maltaverne anime le poézine Traction-brabant (55 numéros papier depuis janvier 2004) : « au fond, une revue, qu’est-ce que c’est ? Sinon un flux d’écritures dont la convergence mériterait de durer aussi longtemps que l’espèce humaine capable de se remettre en cause » (édito du n° 55, 24 janvier 2014 « J’ai dix ans… alors… gare ta gueule à la récré ! »).

Il anime également les microéditions Le Citron Gare.

Publications récentes : Prélude à un enterrement sur la lune (36° Édition, 2012), Faux partir (Le manège du cochon seul, 2009), Souvenirs d’une ville illégitime (Encres vives, 2008), Merci pour la musique (Gros textes, 2008), Sans mariage (Polders-Décharge, 2007).

Contacts et blog

http://traction-brabant.blogspot.fr/

http://lecitrongareeditions.blogspot.fr/

http://poesiechroniquetamalle.centerblog.net/

 

 

 

 

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