[Chronique] Sicard-san, par Guillaume Basquin

[Chronique] Sicard-san, par Guillaume Basquin

septembre 29, 2019
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[Chronique] Sicard-san, par Guillaume Basquin

Jacques Sicard, Ozu-san, Z4 éditeur, coll. « La Diagonale de l’écrivain », septembre 2019, 112 pages, 11,50 €, ISBN : 978-2-490595-60-0.

Si les philosophes sont ceux des penseurs qui inventent des nouveaux concepts, ainsi que le disait Gilles Deleuze, « les artistes précieux sont ceux qui inventent de nouveaux mouvements en vue d’un repos insoupçonné », clame Jacques Sicard dès l’amorce de son nouveau livre consacré en partie au cinéma d’Ozu, qui sort chez Z4 dans la collection dirigée par Philippe Thireau : Ozu-san. Sicard étant deleuzien (il a même écrit un Abécédaire (publié par La Barque) en hommage évident au philosophe), ce n’est sûrement par un hasard s’il entame son nouvel opus avec cette incise. En cinématographe, la morale étant (presque) tout entière affaire de travellings, de « nouveaux mouvements » (de caméra, de montage, d’acteurs ?) inventent de nouveaux gestes (à moins que ça ne soit l’inverse ? et que ce ne soient les nouveaux gestes qui inventent de nouveaux mouvements (comme en danse, et exemplairement chez Merce Cunnigham) ?). L’Esthétique (et Dieu aussi, que Sicard n’accepte pas…) gisant dans les détails, le ciné-poète (quel autre mot ? l’auteur, dès la 4ede couverture, soutenant qu’il « écrit une Poésie de Cinéma (de – et non pas du) »), dans ses toujours courts textes très ciselés et explosifs, cherche toujours le punctumdans le mouvement, ou le geste où le plan (ou le montage) pour lui achoppe ou fait saillie ; ainsi à propos du Journal d’un curé de campagnede Bresson : « Sur la route, l’engin mécanique qui file est une flèche qui a refermé les aiguilles du temps, c’est un trait mélodique des plus doux malgré sa raucité froide. » Mécanique d’écriture de haute précision, toujours ! On a à peine le temps de souffler que le passager, hop !, grisé, a déjà oublié « l’ouverture angulaire du fer de la flèche – qui se fiche aussitôt dans l’os du front, rose et frais et tout droit contre le vent ». Mécanique implacable comme les griffes du projecteur…

Ozu-san est, pour moitié, une suite de notes têtues sur le geste nouveau du cinéaste Ozu (au sens de Jean-Claude Biette dans Qu’est-ce qu’un cinéaste ? (P.O.L, coll. « Trafic », 2000), c’est-à-dire pas un metteur en scène ni un réalisateur, mais un artiste d’un nouveau type, qui travaille avec le film et invente de nouveaux gestes artistiques (comme par exemple poser sa caméra à hauteur de tatami) qui n’eurent jamais lieu dans aucun autre art auparavant, ni dans le théâtre ni dans l’opéra ni en littérature) : « Ozu filme ce qui ne passe pas dans ce qui se passe. » Le geste d’Ozu est essentiellement musical ; ce sont des variations sur ce qui se passe dans le plan quand apparemment il ne se passe rien : « une folie de clavecin » : « Il n’y a que des notes tempérées » ! Jacques Sicard a-t-il lu le numéro inaugural de la revue Trafic, autrefois créée par Serge Daney (et plus belle revue de cinéma du monde) ? Ces Notes sur le geste de Giorgio Agamben qui y figuraient le laissent à penser : « Le cinéma a pour élément le geste et non l’image » ; et aussi : « Ayant pour centre le geste et non l’image, le cinéma appartient essentiellement à l’ordre éthique et politique (et non pas simplement à l’ordre esthétique »). Le titre du deuxième volet de ce petit livre, « Poélitique », qui se termine sur un hommage à Pasolini (« Je suis l’abcès. Je suis l’abeille. Je suis le suc. C’est la vie qui est fasciste »), fore sur ce même thème jusqu’à la « terreur » (dans les lettres) : « Il ne sera plus question que de se battre, et se battre encore. Tu seras l’ennemi. »

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rédaction

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